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La France change-t-elle de regard sur la diaspora tunisienne ? La France et nous - Deux mois après les élections et les 30% de vote Ennahdha (sur 400.000 émigrés)
Paris – Quartier métro Couronnes, dans le 11ème, fief historique de la diaspora tunisienne. Une Tunisie miniaturisée avec ses petits bars, ses vendeurs de casse-croûte au thon, et le vieux « Chibani » des beignets, une confusion joyeuse s'installe chaque jour renouvelée… On est au pays et pourtant on en ressent la nostalgie. Le plus curieux c'est que quelques semaines après le vote du 23 octobre, les emblèmes et autocollants d'Ennahdha foisonnent et ne donnent guère l'impression de flétrir. On y croit. Mohsen est là depuis 88. Il est pâtissier, spécialisé dans les préparations orientales. « J'ai voté Ennahdha tout simplement parce que c'est le plus ancien opposant au régime. C'est ce que nous disaient ceux qui menaient campagne pour ce parti. Il y en a bien – parmi les Français, dont on ne sait qui les a chargés de le faire – qui sont venus nous dire qu'Ennahdha est un mouvement terroriste et que s'il gagnait les élections, la Tunisie vivrait des années de feu à l'algérienne avec le FIS, le GIA, l'Armée etc… Nous, on les a pas crus. Car, vous savez, nous, Tunisiens de France, pourtant bien intégrés, sans problèmes majeurs, ne savons pas beaucoup de choses sur notre pays. Mais tout ce que nous savons c'est que Ben Ali et sa femme se sont enrichis sur le dos du peuple et qu'il y a beaucoup de chômage ». Tout se comprend. Le lien est évident. Les activistes d'Ennahdha, en France, sont très nombreux et ils l'étaient davantage du temps de Ben Ali. En tous les cas c'est bien en France qu'avait été scellée la sainte alliance Gauche/Ennahdha et d'ailleurs l'on ne comprend pas, aujourd'hui, que les uns et les autres ressentent ce qu'on appelle « la gêne de la gratitude » envers la France. Les dérapages de MAM leur auront été, sur ce plan, d'une aide providentielle. Mahbouba Merchaoui, militante très médiatisée d'Ennahdha qui a supervisé la rédaction du programme d'Ennahdha à destination de la diaspora tunisienne de France expose sa stratégie en deux mots : « Nous avons insisté sur la dignité spoliée des Tunisiens ». Elle est, soit dit en passant, l'épouse d'un réfugié nahdhaoui depuis 82 et enseigne la philosophie et les sciences humaines à l'Institut européen des sciences humaines de Saint Denis. Difficile de comprendre la logique de la déferlante nahdhaouie à Paris (30% de votants) à travers Belleville uniquement. Les sans-papiers, gravitant autour des consulats et ayant eu le droit de voter pour peu qu'ils bénéficient d'un justificatif de domicile crient haut et fort leur désarroi. Plusieurs d'entre eux sont passés par Lampedusa et s'ils votent Ennahdha c'est parce qu'elle leur a promis de leur régulariser leurs papiers. Chimères ? Un mois après les élections, ceux qui ont voté Ennahdha – pour une raison ou une autre – ne veulent pas céder au désenchantement. Ils croient mordicus en la sincérité et en l'efficacité du Parti de Rached Ghannouchi. En revanche, dès lors qu'on sort des espaces de concentration de la diaspora tunisienne, c'est à un autre son de cloche qu'on est confronté, dans les facultés, par exemple. A la Sorbonne III, Kh. et F. sont de fervents gauchistes. Mais, plus que cela, ils ne croient pas en un discours religieux dans les apparats politiques. Sur 13000 étudiants tunisiens en France,la plupart voient les horizons s'assombrir avec Ennahdha. Z.E.H, professeur à la Sorbonne I s'attend même à un durcissement de la France vis-à-vis des Tunisiens. « Sur 400.000 électeurs, 30% ont voté Ennahdha. Les Français voient cela d'un mauvais œil. Et il se trouve, précise-t-il encore, qu'il y a un phénomène paradoxal : les Français n'étaient pas aussi inquiets du temps du GIA algérien. Aujourd'hui, ils le sont avec Ennahdha. C'est le communautarisme français qui commence à s'éroder. Et dans cette logique, la montée de l'islamophobie est comme une évidence géométrique ». Faut-il partager ce pessimisme. Tout dépendra de deux facteurs : qu'Ennahdha ne tienne pas un discours double ; et que la France lui accorde le doute raisonnable et « protège » quelque peu la diaspora tunisienne contre les poisons de l'outrance et de l'extrémisme. Le pire de tout serait, en effet, que nos concitoyens ne soient déjà désignés comme enjeu électoral et comme bouc émissaire. Enjeu électoral dont le Front National sera l'arbitre. Bouc émissaire à une époque où, tout d'un coup, les révolutions arabes enclenchées par la Tunisie, ne soient perçues comme une damnation dans l'imaginaire collectif français. Et déjà, le ton est donné : les diplômés tunisiens de France ne sont plus certains de pouvoir briguer un job.