Par Khaled GUEZMIR - Pourquoi les Tunisiennes et les Tunisiens ont-ils fait la Révolution ? Pour la liberté et la dignité, nous dit-on. Alors, commençons par le commencement : la liberté ! Première étape, on s'est débarrassé d'une dictature et d'un système totalitaire corrompu en trois mois avec des pertes en vies humaines relativement réduites, comparées à ce qui se passe en ce moment en Syrie, avec ce régime sanguinaire unique au monde et où les morts se comptent par milliers. La deuxième étape, c'est celle de la construction démocratique et libérale qui implique une synthèse entre la participation politique codifiée par la loi et sanctionnée par les élections et les libertés individuelles aussi bien physique qu'intellectuelles qui sont de droits naturels de l'Homme. Jusque-là tout va bien, madame la Marquise ! Les élections ont eu lieu et une coalition démocratiquement élue, contrôle le « Parlement » constitutionnel, car c'est bien de cela qu'il s'agit et non d'un organe chargé uniquement de rédiger une Constitution, et contrôle aussi l'exécutif, à savoir le gouvernement et la présidence de la République. Par conséquent, la participation a été le fait majeur de ces premières élections du 23 octobre dernier et c'est tant mieux. Venons-en maintenant à la liberté physique qui est encore – et touchons du bois – largement respectée même celle du «Nikab » qui est finalement autorisée sauf dans les établissements éducatifs. Pour le reste, rien à signaler ou presque. Chacun fait ce qu'il veut de son corps et de ses habits, jusqu'à nouvel ordre ! Reste la liberté intellectuelle et c'est là où le bat blesse. La tendance à mettre au pas la presse, est engagée et risque de détruire tout l'édifice démocratique plus que fragile. Trop pessimiste et alarmiste vous me direz… Pas tant que cela, et voici pourquoi : Aucune démocratie au monde ne peut vivre sans la liberté de la presse. «Definitly», dirait le britannique John Locke, fondateur des mères des démocraties et du « Bill of Rights » (charte des droits de l'Homme de 1689) ! Cette question est de la plus haute importance. En effet, l'Amérique, l'Europe, l'Asie du Sud-Est à l'exception de la Chine, mais pour combien de temps encore, sans la liberté de la presse, seraient de espaces de dictatures ou de « démocraties » sous tutelle et de façade comme c'est le cas partout ailleurs. Plus que les lois, les constitutions et toutes les chartes mondiales des droits de l'Homme, la liberté de la presse et d'opinion est la pierre angulaire de l'édifice démocratique. C'est le seul contre pouvoir efficace sans lequel tout système politique, même constitutionnel, peut virer vers l'absolutisme. Tous les systèmes politiques du monde y compris les plus totalitaires comme la Corée du Nord ou la Syrie, se réclament de la démocratie… la « vraie » - sic. Mais, le point défaillant c'est la liberté de presse et d'opinion. Ils peuvent avoir les plus belles constitutions du monde, rien n'y fait. C'est être ou ne pas être démocratique ! C'est dire si la bataille pour la liberté de presse est bel et bien, la mère des batailles et si elle est perdue, c'est le retour à la case départ : un pays sous contrôle de l'exécutif et du système dominant au pouvoir et un déclassement total de la démocratie ! Ceci est d'autant plus vrai, dans notre pays, qu'une grande partie des structures et des entreprises de presse sont « propriétés » de l'Etat… et de fait, contrôler la presse c'est s'approprier à nouveau l'Etat comme ce fut le cas avec Ben Ali. Le gouvernement et « Ennahdha » réclament, aujourd'hui, plus « d'objectivité », plus d'impartialité et plus de retenue de la part de la presse…. ! Pourquoi faire ! Pour apaiser le climat social et remettre le pays au travail, répondent-ils. C'est louable et même légitime. Mais, pour pouvoir être réellement impartial, il faut une analyse scientifique du contenu de toute la presse, écrite et audiovisuelle, depuis que la « Nahdha » est au pouvoir. Et là, nous risquons de grosses surprises. Les vieux routiers qui connaissent bien ces techniques et savent en tirer les conséquences, peuvent déjà avancer de façon incontestable que le mouvement Ennahdha occupe une place médiatique de choix en quantité et en qualité. Tous ses leaders, sans exception, passent régulièrement sur les écrans des T.V publiques et privées et sur les colonnes de tous les journaux et périodiques. Mais, alors, où est le problème ! A notre avis, la question majeure est celle de l'adaptabilité de la société toute entière et surtout celle des partis au pouvoir, aux valeurs et aux normes essentielles de la démocratie libérale. Si « Ennahdha » veut le contrôle social, elle ne peut que contrôler la presse et l'opinion. Et si elle veut réellement bâtir la démocratie, tant attendue par les Tunisiens, depuis deux siècles, elle ne peut qu'accepter la critique et la liberté tout court, et non pas celles maquillées par le totalitarisme précédent par cette appellation assassine de la liberté à savoir : « La critique constructive » ! Une fumisterie à l'état pur ! La liberté est indivisible en démocratie. Son seul contrôle c'est la loi, qui la protège et ne l'étouffe pas. Merci encore à John Locke de nous rappeler que « les gouvernements qui ne protègent pas les libertés et les droits naturels de l'Homme sont illégitimes » (Essai sur le gouvernement civil) ! A relire absolument !