En passant devant la grande porte jaune et cloutée au style arabe, on ne saurait imaginer les trésors artistiques enfouis à l'intérieur de cette maison ancestrale de la Médina, sise Rue Sidi Zahmoul, à Tourbet El Bey. A peine a-t-on mis le pas dans le vestibule qu'on découvre déjà l'avant-goût de la tradition, du patrimoine, sans oublier le chaleureux accueil qui vous est réservé par les maitres de céans. Notre hôtesse, Selwa Ben Saïd, était là à nous recevoir avec toute la délicatesse et toute la grâce du monde pour nous mener dans la somptueuse chambre transformée en galerie de peinture.
La rencontre s'est déroulée dans une ambiance amicale et bon enfant durant laquelle l'artiste nous a fait part de ses débuts, de son parcours, de ses œuvres artistiques, de ses anciennes expositions et, notamment de celle qui se déroule actuellement (la sixième du genre, la première remonte à 1994) et qui se poursuit jusqu'au 31 mai, dans cette demeure ancienne où tout semble fait pour sauvegarder notre patrimoine et nos traditions, à l'heure où la Tunisie célèbre le mois du patrimoine.
En effet, la présente exposition de Selwa Ben Saîd verse dans cette perspective de faire valoir cet héritage du passé à travers les 31 tableaux exposés sous le titre de « Regards de femmes ». Si l'accent est mis sur les femmes traditionnelles, leurs costumes, leurs coiffures, leurs fards et leurs manières, c'est que l'artiste a passé plus de trente ans à exercer le métier de styliste- modéliste en France et en Tunisie. Et pourtant l'homme n'est pas absent dans sa collection : on peut le voir ainsi en compagnie de la femme dans certaines œuvres. Le visiteur est d'emblée frappé par la minutie et la précision des détails dans les différents portraits, au niveau des personnages peints, au niveau de leur aspect vestimentaire ou encore du cadre qui les entoure dont aucun détail n'a été omis ou négligé. Il faut voir avec quelle précision et quel raffinement ces carreaux de faïence ou ces fers forgés ont été peints ! Toutes les techniques de la miniature ont été investies sur les toiles, usant de l'acrylique et du plus petit pinceau auquel elle arrache encore des poils, histoire de faire apparaître les détails les moins visibles dans les éléments peints pour qu'ils soient si proches du naturel, du réel. Force est de constater que cet intérêt porté sur le détail est l'une des manies de l'artiste-peintre dont elle ne peut que se flatter.
Selwa Ben Saïd est passionnée de dessin dès l'âge de 12 ans, notamment à l'école où elle réalisa ces tous premiers dessins qui suscitèrent l'admiration de ses professeurs. A 15 ans, elle vendait ses créations pour avoir son argent de poche. De plus, elle tient cet art de sa mère Sabiha Menchari, l'une des premières étudiantes des Beaux-arts dans les années quarante, qui lui a transmis la passion de l'art et l'a encouragée aussi à poursuivre ses études de styliste et de modéliste chez ESMOD à Paris, capitale de la mode, où elle brava tous les obstacles pour réussir brillamment parmi les premiers de sa promotion. « J'ai toujours dessiné dans ma vie, nous confia l'artiste, et j'ai toujours voulu mettre en valeur la femme, grâce aux robes somptueuses que j'ai créées durant trente ans de métier. Et dire que je n'ai jamais refait le même modèle, car pour moi, chaque femme a son corps, sa personnalité et son modèle particulier. Chaque femme a sa robe exclusive ». A la question comment elle a rompu avec la haute couture pour venir à la peinture, l'artiste nous a répondu : « C'était en 2005, quand ma sœur est morte, Depuis, je n'avais plus goût à la couture qui, à vrai dire, m'a causé beaucoup de douleurs au dos et puis, je trouve que tout ce que je produis en matière de haute couture n'est qu'éphémère : une robe n'est portée que deux ou trois fois et puis elle est abandonnée. C'est pourquoi, je retourne vers la peinture et à la miniature, ma première passion ! Car un tableau sera conservé pour longtemps, même après la mort de l'artiste ! »
Dans cette exposition qui lui a valu trois ans de préparation, c'est la femme qui est mise en relief. Les titres proposés aux différents tableaux renvoient à des scènes vécues par la femme, notamment dans sa vie familiale, conjugale, voire intime et sentimentale. La voici qui se regarde dans le miroir, qui est absorbée dans ses pensées, qui se prépare à partir pour une fête de mariage et qui joue du « oud ». Il y a la femme rêveuse, la femme séductrice, la femme sensuelle, la femme envoûtante, mais aussi la femme timide. Et ce voile omniprésent chez presque toutes les femmes : « femme au voile rouge », « femme au voile vert », « femme au voile bleu ciel, « femme au voile jaune et bleu » et « femme au voile transparent ». Ajoutons à cela cette palette de couleurs, souvent gaies et claires, attribuée aux habits de soie, de mousseline, de satin, de dentelle et de brocart ; le tout étant garni de broderie si minutieusement exécutée qu'elle s'approche de la réalité ! Le visiteur sera sûrement ensorcelé devant ce tableau intitulé «Femme envoûtante » où il peut découvrir toute cette expression du regard, cette perfection des yeux et cette finesse du nez qui riment avec la transparence du voile en mousseline et ce costume rouge flamboyant porté par cette femme qui a l'air de se préparer à une fête, étant parée de tous ses plus beaux bijoux.
Dans toutes ses œuvres, l'artiste s'inspire de la tradition, de la Médina, des origines, des ancêtres pour lesquels elle garde du respect et de la nostalgie. « En matière de haute couture, nous avoua l'artiste, je suis parisienne, mais en peinture je suis plutôt tunisoise ! ». Ses œuvres passent pour un conte de fée qui fait revivre en nous les années d'antan. Une exposition à voir et à revoir !