«Ces projets datent de l'ère de Ben Ali ! Ils sont identiques au 12ème plan de développement prévu par l'ancien régime !» Le 24 mai 2012, la situation est terriblement tendue au gouvernorat du Kef. Intitulée «L'initiative du Kef », la ville est ébranlée. Plus de 2 mille jeunes et moins jeunes sortent manifester leur indignation contre le taux «très médiocre» consacré à la région dans la loi de finances complémentaires, à savoir 0,67%, soit le pourcentage le plus faible donné aux régions marginalisées. La situation dégénère et les affrontements entre manifestants et policiers ne tardent pas. L'URTT (Union régionale du travail) annonce une grève générale pour le 4 juin.
Réponse du gouvernement : une délégation ministérielle a été, avant-hier, à la région pour «calmer» les esprits. Le convoi était composé, entre autres, par le ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale, Riadh Betaieb, et le ministre du développement régional, Jameleddine Gharbi. Une visite qui s'inscrit dans le cadre d'une campagne de consultation nationale de toutes les villes tunisiennes afin de répondre aux attentes d'un peuple de plus en plus indigné.
Or, les temps n'étaient pas réellement propices aux dialogues, surtout après l'annonce des types de projets qui ont été prévus pour le Kef.
227 projets et tentative de réconciliation
Voulant peut-être rompre avec les anciennes habitudes, le rendez-vous a été donné à l'Institut Supérieur des Sports et de l'Education Physique du Kef, non pas au siège du gouvernorat, lieu qui irrite de plus en plus les habitants de toute région.
Les trois ministres qui étaient sur place ont annoncé à leur auditoire, composé essentiellement des habitants du Kef et des représentants de la Société civile, un chiffre colossal de projets, soit 227 projets qui couteront la bagatelle de 145 millions de dinars.
Voulant être compréhensif et rassurant, M. Riadh Betaieb a tenté de recoller les morceaux entre Keffois et gouvernement et appelé à rétablir la confiance entre les deux pour le bien du pays, surtout dans sa lutte contre les affaires de corruption. Il a, notamment, en soulignant que le gouvernement tient, par ailleurs, à répondre aux attentes du peuple et aux besoins des régions lésées, jadis, économiquement. Pour ce faire, il a rajouté, que les projets de développement proposés visent à améliorer la situation socio-économique du Kef.
Renforçant cette démarche réconciliatrice, le ministre du développement régional, Jamel Edddine Gharbi, a, de son côté, tenu à dialoguer avec les représentants de la Société civile keffoise, qui, selon lui, constitue parfaitement le meilleur porte-parole des habitants de la région.
Il a appelé à une entrevue avec les associations régionales et la composante de la société civile afin de mieux comprendre et cerner les besoins socio-économiques immédiats du Kef pour pouvoir, par la suite, adapter leurs attentes aux projets lancés ultérieurement.
En outre, Jamel Eddine Gharbi a tenu à préciser que les projets qu'ils étaient venus annoncer aux Keffois étaient décidés après une longue et profonde étude qui a pris en compte le patrimoine agricole et naturel de la région.
Projets inappropriés avec les besoins de la ville.
Après le discours des ministres, les habitants avaient leur mot à dire. Fulminant de colère, ils ont exprimé leur mécontentement quant au type des projets énoncés.
La majorité de ceux qui ont assisté à la réunion étaient outrés et indignés. Ils qualifient ces projets de non adéquats et non prioritaires. Pis encore, selon Brahim Guesmi, secrétaire régional de l'URT du Kef, ces projets ne représentent pas la priorité de la région. Ils renforceront encore plus la marginalisation d'une bonne partie de la population keffoise.
«Ces projets montrent qu'ils n'ont pas été le sujet d'une véritable étude. La preuve en est ! Ils datent de l'ère de Ben Ali ! Ils sont identiques au 12ème plan de développement prévu par l'ancien président ! De qui se moque-t-on ? », s'indigna l'un des représentants de la Société civile keffoise.
D'autres voix s'élevèrent contre ces projets qui renforcent encore plus la précarité de l'emploi dans la région et ne sont point la priorité en terme de développement régional du Kef. Ils considèrent à l'unanimité que ces projets ne représentent pas une source d'employabilité efficace de point de vue quantitatif et qualitatif.
«Il suffit de se rappeler les promesses erronées quant à la réalisation d'une zone industrielle, il y a 4 mois, soit le 8 février. C'était un projet qui devait démarrer dans la région de Sakiet Sidi Youssef, deux mois après l'annonce officielle du Mohamed Lamine Chakhari, ministre de l'Industrie. On est à la fin du mois de mai et toujours rien ! », s'écria l'un des présents.
La région du Kef est riche en ressources naturelles qui garantiraient une vie digne à ses habitants et assureraient la pérennité financière aux employés. Il aurait suffi de sonder un peu plus le patrimoine naturel du Kef pour s'en rendre compte. Certains ont cité l'exemple de la mine de phosphate à la région de Sra Ouertane, qui produit à elle seule, 5 milliards de tonnes de phosphate brut. Une mine d'or quand on sait qu'elle représente pas moins de 2 mille postes d'emploi pour un projet qui couterait, selon les dernières études, dans les 15 millions de dinars. Des voix s'élevèrent rappelant que depuis plus d'un an, les Keffois réclament la réouverture de cette mine, chose qui leur a été promis depuis le gouvernement provisoire de Caid Essebsi.
Les présents parlèrent aussi d'industrie agro-alimentaire dans la région de Dahmani ou encore de la cimenterie de Zouaouine, un projet abandonné par le gouvernement, depuis 2009 !