La libanaise Vénus Khoury-Ghata livre avec son dernier roman, Le facteur des Abruzzes, un récit dramatique sur le thème de la souffrance, la vengeance et la mort. Admirablement servi par une écriture évocatrice et poétique. « Pour moi, écrire un roman, c'est escalader une montagne pas à pas, lentement, en faisant des efforts, alors qu'écrire des poèmes, c'est dévaler des pentes à toute vitesse, dégringoler », a coutume de dire Vénus Khoury-Ghata. La romancière et poétesse libanaise est l'auteur d'une vingtaine de romans et d'autant de recueils de poèmes. Des romans lyriques et une poésie qui puise son inspiration dans le quotidien avec son lot de tragique et de désespoir. Tels sont les deux versants d'un même projet littéraire d'exploration des mystères du monde et de l'identité. Malaterra, la terre maudite L'originalité de ce projet réside aussi dans son double langage, au sens littéral. Née au Liban, Vénus Khoury-Ghata vit en France depuis 1972. Elle a abandonné l'arabe pour écrire en français, mais sa langue maternelle n'a cessé de hanter son écriture. L'arabe est devenu, comme elle aime le rappeler, « une langue clandestine qui continue à infuser son miel et aussi son amertume ». D'où le choix qu'a fait la romancière de situer ses récits dans le monde méditerranéen, ce qui est le cas de son nouveau roman Le facteur des Abruzzes. L'action de ce roman se déroule en Italie. Vénus Khoury-Ghata entraîne ses lecteurs au fin fond de la région sauvage des Abruzzes, dans un village au nom prémonitoire : Malaterra, la terre maudite. Le site doit son nom à la misère qui y règne et qui a poussé ses jeunes à le quitter pour aller chercher du travail en ville. C'est dans ce bourg abandonné par ses forces vives que débarque Laure. La Parisienne est sur les traces de son mari disparu dans des conditions mystérieuses. Biologiste d'origine albanaise, Luc faisait des recherches sur des Albanais implantés dans les Abruzzes depuis un siècle, tous dotés des mêmes groupes sanguins O-. Sa curiosité est piquée par les notes laissées par son scientifique d'époux sur les habitants, leurs maladies, les déficiences immunitaires, les mariages consanguins ou les incestes. Laure décide de venir voir de ses propres yeux. Il y a du Marquez et aussi du Dante Elle découvre un village antique, creusé dans le roc et peuplé d'hommes et de femmes à la fois fantasques et émouvants. La vie y est régie par des superstitions et des coutumes d'un autre temps. Laure y fait la connaissance du bouquiniste kosovar enseveli par la crasse accumulée de sa librairie que nul ne fréquente, du boulanger musulman qui propose de l'épouser et, surtout, de la vieille Helena qui attend depuis trois décennies pour faire payer l'impôt du sang au violeur de sa fille. Son histoire est emblématique de la loi implacable de la pureté et la vengeance qui règne à Malaterra. Il y a du Macondo marquézien (le lieu où se déroule « Cent ans de solitude », le célébrissime roman de Gabriel Garcia Marquez) dans Malaterra, mais aussi de L'Enfer de Dante. Ou encore telle Orphée, Laure est venue chercher son Eurydice avec le secret espoir de retrouver les traces de ce mari qu'elle a aimé et si peu connu. Sa quête ne peut aboutir. La quête de l'être aimé est d'ailleurs une des thématiques récurrentes de l'œuvre de Vénus Khoury Ghata. Elle a des résonances autobiographiques et renvoie à son frère aîné qui l'avait initiée à la poésie avant de s'engouffrer dans la violence et la folie. Devenue elle-même poétesse, l'auteur de A quoi sert la neige et Les Obscurcis a longtemps pensé que son frère écrivait à travers elle et qu'elle n'était qu'un relais de parole. (MFI) Le facteur des Abruzzes, par Vénus Khoury-Ghata. Paris, Mercure de France, 2012. 146 pages.