Le sujet, beaucoup parcouru, mérite qu'on y revienne, sans doute en s'arrêtant moins au niveau conceptuel, celui des idées et idéaux, mais en insistant davantage sur ses dimensions historiques, si l'on veut montrer comment l'évolution de la pensée a permis de dégager des comportements et des pratiques capables d'asseoir solidement la société de liberté et de justice sociale qui nous est nécessaire. Car en une matière où nous avons été souvent abusés et trompés, rien de tel que l'étude des pratiques réelles pour démêler le faux du vrai. Le mot démocratie, venu du grec ancien, d'Athènes où elle est née, désigne le pouvoir exercé par le peuple. Ce n'était pas un don des aristocrates au pouvoir, désireux d'établir la justice par amour pour les classes populaires, mais la conséquence de la nécessité où ils étaient d'obtenir leur participation pour sauver la cité. Au départ, donc, la démocratie n'est pas la conséquence d'un souci moral, philosophique ou religieux, d'établir l'égalité des droits et des devoirs, et de répandre la justice.
Née sur les bords de la Méditerranée et lentement répandue en Europe d'abord, la démocratie a revêtu trois formes historiques. La démocratie directe est la première apparue en Grèce antique, rendue possible par la petite taille de chaque cité. Près de 2 000 ans plus tard, au XVII° et XVIII° siècles de notre ère, la démocratie libérale a vu le jour dans l'Occident comme fruit du combat entre une bourgeoisie ascendante et une noblesse féodale appuyée par l'Eglise ; les thèmes de bataille étaient la liberté du commerce, du marché, et de la représentation politique des individus. Le type le plus récent de démocratie, celui de la démocratie dite populaire, a été mis en pratique dans les pays d'Europe centrale et Orientale, puis en Chine, suite à la formation au XIX° siècle d'une classe ouvrière.
Chacun de ces trois types avait ses défauts. La démocratie directe exigeait que les populations concernées soient de tailles limitées, capables d'être réunies dans le même espace public au même moment ; les esclaves, 90% de la population masculine à Athènes, en étaient exclus. La démocratie est aujourd'hui indirecte, vue la croissance démographique. Les défauts se sont multipliés avec le nombre des partis politiques, la nécessité d'une propagande coûteuse, et en conséquence l'influence du capital financier. L'un des plus grands défauts est que la majorité, 50% des voix + 1 à la limite, puisse exercer sa dictature sur la minorité, 50% des voix - 1. La possibilité d'un referendum est alors le correctif possible. Dans les démocraties populaires le capital financier était le monopole de l'Etat, ce qui impliquait la confiscation par lui des libertés.
L'Islam a-t-il connu la démocratie ? Le problème se pose aujourd'hui avec acuité, car il est lié à la nécessité pour les gouvernements de rendre à la nation l'étude et le règlement des affaires publiques. L'Islam connaît Ech Choura qui permet de prendre l'avis de l'opinion, en conformité avec la philosophie propre à l'Islam qui se fonde sur la parole de Dieu, celle-ci étant garante des libertés, de la liberté d'expression et de croyance, de la justice et de l'égalité entre les hommes. Pour les hypocrites et les opportunistes qui veulent se rapprocher des gens du pouvoir, Dieu leur assigne l'enfer. Ainsi faut'il se rappeler la parole du Khalife Omar : "Depuis quand les hommes seraient-ils esclaves, alors que leur mère les ont fait naître libres ?".
C'est la large liberté autorisée par l'Islam dans les premiers siècles de son ère qui a autorisé le progrès que les Arabes, avec l'ensemble des Musulmans, ont pu acquérir dans tous les domaines de la créativité humaine. La civilisation alors éclose a pu demeurer prospère tant qu'Arabe et Musulmans sont restés attachés à la liberté de pensée, une liberté que l'Occident n'a pu connaître qu'avec le XVIII° siècle de son ère. L'Islam n'a en rien emprunté à la démocratie grecque antique dont il n'a connu l'existence qu'après 1918. La démocratie n'est pas une invention occidentale, mais de l'humanité dans son avancée, car elle est une préoccupation de l'humanité entière à la recherche de la meilleure voie, malgré ses défauts.
Tel est notre problème dans la Tunisie engagée dans l'élection d'une assemblée constituante. Seules une compréhension et une pratique démocratique des organisations et instances mises en place permettront de s'engager dans la voie de la démocratie, en donnant aux citoyens la parole et le pouvoir de décider. La véritable démocratie est moins un problème d'institutions que de comportement et d'information politique, sociale, économique, éducative. Respecter le citoyen et lui permettre d'accéder au pouvoir est le seul moyen de consolider les libertés. L'Islam a toujours soutenu les travailleurs et les faibles. Selon lui, qui prend l'avais des autres ne peut échouer. Dans son premier discours, le Khalifa Abou Bakr a dit : "Si je fais le bien, aidez-moi, si je fais le mal, combattez-moi".