Noureddine Bhiri : «Il est dans les prérogatives du chef du gouvernement de signer les décrets d'extradition» Samir Dilou : «Une Commission tunisienne avait été dépêchée en Libye pour s'assurer que les conditions de comparution de Baghdadi Mahmoudi devant la justice libyenne seraient bonnes»
Des précisions ont été données par Noureddine Bhiri, lors d'une conférence de presse tenue, hier, au palais du gouvernement à la Kasbah, et portant principalement sur les circonstances ayant entouré l'extradition et la livraison de l'ancien premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi aux autorités judiciaires libyennes, comme il a été annoncé officiellement par les autorités tunisiennes, dans un communiqué, dimanche 24 juin. Samir Dilou, porte parole officiel du gouvernement et ministre des droits de l'homme et de la justice transitionnelle, participait , aussi, à cette conférence de presse. Il a nié catégoriquement qu'il y ait eu un marché quelconque derrière l'extradition et la livraison de Baghdadi Mahmoudi aux autorités judiciaires libyennes et s'il avait été le cas, le peuple tunisien aurait été le premier informé.
Samir Dilou et Noureddine Bhiri ont souligné que l'opération d'extradition et de livraison de Baghdadi Mahmoui s'est déroulée dans de bonnes conditions et que les autorités tunisiennes se sont attachées, par devoir, à assurer sa sécurité jusqu'au dernier moment. Samir Dilou a noté que l'opération de livraison menée, dimanche, a été une opération technique et administrative, et elle a été effectuée en application d'un jugement judiciaire rendu par la justice tunisienne, il y a plus de six mois. L'opération de livraison a eu donc lieu, dimanche, après l'accomplissement de toutes les procédures nécessaires et la satisfaction des exigences et considérations d'ordre judiciaire, constitutionnel et juridique, à ce propos.
La Tunisie a mis des conditions que la partie libyenne devait satisfaire, pour livrer l'ancien premier ministre libyen, dont notamment la garantie d'un procès équitable pour le prévenu. Une commission tunisienne formée de juristes et de spécialistes a été envoyée en Libye pour enquêter à ce sujet et elle a pu accomplir sa mission les 30 et 31 mai avant de remettre son rapport. Samir Dilou a montré le rapport de la commission aux journalistes, signé par son président et son rapporteur.
Bases juridiques de l'extradition
A la lumière de ce rapport, le ministère de la justice a préparé un projet de décret relatif à la livraison de Baghdadi Mahmoudi aux autorités judiciaires libyennes. Ce décret a été signé par le chef du gouvernement, conformément aux attributions qui lui sont conférées par l'organisation provisoire des pouvoirs publics ou petite constitution, adoptée fin 2011 par l'Assemblée nationale constituante. L'organisation provisoire des pouvoirs publics confère, en effet, au chef du gouvernement la compétence relative à la signature des décrets , alors que le président de la République a la compétence de trancher en ce qui concerne l'octroi des grâces individuelles, seulement.
Les sphères officielles concernées ont été informées de la signature du décret signalé, soit la président de la République, le ministère de la justice, le ministère de l'intérieur et le ministère de la défense nationale.
A cet égard, Noureddine Bhiri a passé en revue les étapes par lesquelles est passée l'affaire de Baghdadi Mahmoudi, devant les tribunaux tunisiens, depuis son arrestation en septembre 2011, sur le territoire national, jusqu'à la prise de la décision judiciaire définitive relative à son extradition et sa livraison aux autorités judiciaires libyennes à leur demande pour de nombreuses accusations portées à son encontre, dont l'incitation au viol et au meurtre et l'atteinte aux droits de l'homme, sur la base d'une masse de preuves, de témoignages et de documents remis par les autorités judiciaires libyennes, et ce après avoir conclu à sa culpabilité et à l'absence de motifs politiques dans l'affaire. La chambre d'accusation qui a examiné en dernier lieu l'affaire, en Tunisie a établi que les preuves de sa culpabilité dans des crimes de droit pénal étaient recevables et a décidé son extradition et sa livraison aux autorités judiciaires libyennes. Toutefois, le dernier mot restait au gouvernement quant à la mise en application, ou non de cette décision. La Chambre d'accusation a fondé son jugement sur le code de procédures pénales, la convention bilatérale tuniso – libyennes relative à l'extradition des criminels, la convention arabe de Ryadh dans ce domaine sur laquelle la Tunisie s'appuie pour demander l'extradition des condamnés par la justice tunisienne parmi les anciens dignitaires du régime de Ben Ali, en fuite à l'étranger, et enfin la convention onusienne relative aux réfugiés et au droit d'asile qui interdit l'extradition en l'absence de conditions garantissant un procès équitable pour les prévenus coupables de crimes non politiques.
La commission des spécialistes tunisiens envoyée en Libye a confirmé que la justice libyenne jouit d'un minimum d'indépendance et qu'il existe en Libye des conditions garantissant un procès équitable pour Baghdadi Mahmoudi. La commission a eu des contacts avec des prisonniers parmi les dignitaires de l'ancien régime libyen qui ont dit n'avoir pas été victimes de tortures et que le droit de défense est garanti.
Le droit des peuples à demander des comptes
Noureddine Bhiri a souligné que dans les circonstances signalées, c'est plutôt la non extradition de Baghdadi Mahmoudi qui devrait étonner. D'autant que la Tunisie et la Libye vivent des situations révolutionnaires similaires et qu'il est du droit des peuples ayant accompli des révolutions de demander des comptes à tous ceux qui ont commis des crimes à leur détriment. Puis, en Tunisie, nous réclamons à plusieurs pays d'extrader et de nous livrer les criminels de droit commun parmi les dignitaires de l'ancien régime, en fuite dans ces pays. Nous devons donner l'exemple en extradant les criminels en fuite en Tunisie, à condition d'être jugés conformément aux principes de la justice et aux règles du droit.
La Libye s'est engagée à assurer la sécurité de Baghdadi Mahmoudi et de lui faire un procès équitable. Dilou et Bhiri se sont dit persuadés que les autorités libyennes honoreront leurs engagements.
En réponde aux demandes d'éclaircissement des journalistes concernant le désaccord apparu entre le gouvernement et la présidence de la République au sujet de l'extradition de Baghdadi Mahmoudi, les deux ministres ont insisté sur la cohérence des pouvoirs en Tunisie. Toutefois, ont-t-ils noté, des désaccords peuvent se produire concernant la détermination exacte des attributions de chacun des trois présidences, notamment celles du président de la République, d'une part et celles du chef du gouvernement, d'autre part. L'organisation provisoire des pouvoirs publics a prévu, d'ailleurs, cette éventualité et a donné à l'Assemblée nationale constituante le pouvoir de trancher à ce sujet.
Samir Dilou a refusé d'entrer dans des polémiques inutiles à ce propos, alors que Noureddine Bhiri a insisté sur la nécessité de respecter les décisions de la justice, en affirmant que le respect des décisions de la justice est une constante de la démocratie et des régimes démocratiques. Or, dans le cas présent concernant l'extradition de l'ancien premier ministre libyen, une décision judiciaire a été rendue et il fallait l'appliquer conformément aux procédures légales et c'est ce qui a été fait à la suite de la signature du décret d'extradition par le chef du gouvernement en vertu des attributions que lui confère la loi.