Dans un discours adressé aux Tunisiens sur la première chaîne nationale dans la soirée du vendredi 6 juillet courant, le président provisoire de la République Moncef Marzouki a abordé les sujets d'actualité. C'est un discours déjà annoncé une fois, puis reporté. On y distingue un message d'apaisement, apparemment loin des frictions qui avaient émaillé les rapports avec ses alliés de la Troïka. Il a réitéré sa position concernant l'extradition de Baghdadi Mahmoudi, a exprimé son attachement au consensus qui va au-delà de la Troïka et évoqué une feuille de route pour la prochaine étape. A-t-il répondu aux attentes des Tunisiens ? Qu'en pensent les partis politiques ? Ahmed Brahim : « Un sentiment de désarroi » Président de la Voie Démocratique et Sociale (VDS), Ahmed Brahim, considère que le problème de fonctionnement des institutions au pouvoir reste posé. Il s'interroge : « Est-ce qu'il va réussir à rétablir la confiance ? Loin s'en faut. Il y a une crise institutionnelle très profonde apparue par une tendance hégémonique du parti d'Ennahdha. Il n'a rien proposé pour résoudre cette crise. Il a parlé de consensus au sein de la Troïka. A-t-il obtenu des garanties pour que les décisions ne soient plus unilatérales ? A-t-il eu un accord sur le limogeage du Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie ? Si c'est le cas nous ne sommes pas sortis de l'auberge. L'article paru le même jour sur le site Aljazira.net, sous la signature du président de la République avec un titre étonnant : où va la Tunisie ?, jette un sentiment de désarroi. Ce qu'il a dit à la télévision ne semble pas de nature à rétablir la confiance des Tunisiens. La Troïka n'est pas le cadre de la solution. Il faut cesser de réduire le rôle de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) à une simple chambre d'enregistrement. Il faudrait une instance nationale de dialogue qui prend en charge de trouver des solutions aux problèmes de la transition ». Issam Chebbi : « La crise persiste » Porte-parole du parti Républicain, Issam Chebbi, pense que « le discours a été tardif. On s'attendait à ce qu'il parle comme une des parties du pouvoir. Il a essayé de paraître comme un homme de proposition et de solutions alors qu'il est une partie de la solution. Il a parlé de l'affaire de Baghdadi Mahmoudi. C'était la goutte qui a fait déborder le vase. La véritable crise relève de l'échec du Gouvernement de la Troïka et du partage des pouvoirs. C'est l'échec des solutions basées sur le désir à vouloir contenter et ménager les uns et les autres. Ce genre de logique qui n'a fait qu'aggraver la crise. Il a essayé sans conviction de nous faire croire que la crise est derrière nous. Il s'obstine à vouloir démettre le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, sans raison. Il n'aurait pas dû insister sur cette position. La preuve en est que la crise perdure. Le dialogue est nécessaire. C'est une déclaration d'intentions. Même si ses prérogatives sont limitées, le fait qu'il soit à la tête de la pyramide aurait dû l'amener à faire des propositions concrètes concernant les dossiers en suspens comme la justice transitionnelle, l'indépendance de la justice, l'information... Il pouvait proposer un dialogue national fixé dans le temps. Même s'il tient toujours à la Troïka, il a reconnu que les autres forces politiques ont un rôle à jouer pour trouver la solution. C'est déjà un pas positif. Il faut aller plus loin, que ce soit en activant l'initiative de dialogue de l'Union Générale Tunisienne de Travail (UGTT) ou en lançant une initiative de dialogue par le pouvoir exécutif, un dialogue ouvert aux médias. La solution est dans la participation de tous. Les arrangements dans les chambres fermées ne mènent à rien. Les Tunisiens ont besoin de consensus. Nous sommes prêts à réagir positivement à toutes les initiatives de dialogue qui servent à solutionner les problèmes du pays ». Mohsen Marzouk : « Un témoignage de la justesse de ce que nous avons dit » Membre fondateur du parti Nida Tounes, Mohsen Marzouk, a un sentiment de compassion pour Mohamed Moncef Marzouki. Il dit : « il se trouve dans de très mauvais draps. Il reste accroché au pouvoir à cause de ses ambitions électorales. Il avait été humilié sur le plan politique de façon qui me rappelle ce qui lui était arrivé sur le plan physique lorsqu'il avait voulu rejoindre les satineurs de La Kasbah. Finalement le président de la République a accepté une feuille de route. Je constate qu'il a repris toutes les revendications qui ont été à l'origine de l'initiative Appel de Tunisie, sans avoir le courage et l'honnêteté intellectuelle et politique pour dire qu'il s'était trompé lorsqu'il avait attaqué Béji Caïd Essebsi. Son discours est un témoignage de la justesse de tout ce que nous avions dit. Il a fallu une humiliation pour se rendre à l'évidence d'un processus différent. Toutefois, il y a encore du populisme dans ses sous-entendus à propos des restes de l'ancien régime ». Mohamed Bennour : « Un discours de conciliation » Porte-parole d'Ettakatol, Mohamed Bennour a eu une réaction positive. Il estime que « c'est un discours de conciliation. Il confirme la feuille de route annoncée par Mustapha Ben Jaâfar, après Hamadi Jébali. L'essentiel est que les constituants, qu'ils soient de l'opposition ou de la Troïka, s'attellent à respecter cette feuille de route pour qu'on en finisse avec la promulgation de la Constitution et qu'on aboutisse à la phase attendue des élections législatives et présidentielles pour arriver à une phase stable après une période très perturbée de pouvoir absolu qui a longtemps duré. Maintenant, la liberté est bonne. Il faut établir un Etat de droit où tous les citoyens bénéficient de leurs droits dans un régime démocratique où les institutions ont leur importance, plus que les noms de personnes. La réussite de la feuille de route ne dépend pas seulement de la Troïka, mais de tous les membres de la Constituante. A Ettakatol, nous nous déployons depuis des mois pour promulguer au plus vite cette Constitution qui doit rassembler tous les Tunisiens et non les diviser. Elle doit être la fierté de tous les Tunisiens. Cet objectif peut être atteint si tout le monde se dote d'un esprit d'ouverture et se fixe comme objectif premier la réussite de notre Révolution qui a inscrit son nom en lettres d'or un certain 14 janvier 2011 ».