Après un mutisme observé au long des sursauts récemment vécus et sur lesquels tout a été dit et commenté, le chef du gouvernement provisoire Hamadi Jebali fit, vendredi dernier, une interview à la chaîne de télévision Wataniya 1 où les questions brûlantes de l'actualité étaient abordées. Beaucoup de points ont été évoqués. Concernant les appels lancés pour confier les ministères de souveraineté à des personnalités indépendantes, il a campé dans une position rigide marquant un refus catégorique et une réplique cinglante. Concernant la situation sécuritaire dans le pays, il a affirmé que l'Etat sévira avec fermeté contre la violence d'où quelle vienne. Il a aussi exprimé son appui à l'initiative de l'UGTT qu'il qualifie de « force de rassemblement ». Quels messages a-t-il envoyés à ses partenaires et à la classe politique ? A-t-il répondu aux attentes des Tunisiens ? Quelles sont les réactions des ténors de la classe politique ?
Ahmed Brahim : « Une intervention très en deçà des attentes »
Président de la Voie Démocratique et Sociale plus connue sous le nom Al-Massar, Ahmed Brahim pense que « l'intervention de Hamadi Jébali a été très en deçà des attentes de façon générale. Son discours est resté au niveau des généralités. Il n'a pas répondu de façon claire aux exigences de la deuxième étape de transition, tout en refusant toute critique. Sa déclaration concernant la proposition de l'UGTT a été déjà faite depuis des mois. Il faut passer aux actes. Nous avons entrepris avec le parti républicain une initiative pour la gestion de l'après 23 octobre, en rupture avec l'hégémonisme et pour une véritable transition démocratique ».
Issam Chebbi : « Il a manqué de solutions »
Porte parole du parti républicain, Issam Chebbi, considère que l'entretien télévisé de Hamadi Jebali était décevant. « En tant que chef du Gouvernement provisoire, l'homme qui détient le plus de pouvoir, a mis du temps pour réagir. Sa prestation à la télévision était fade et en deçà de l'ordinaire. Il était sans idées directrices, ni une nouvelle vision pour la réalisation des attentes des Tunisiens. L'homme s'est montré dépourvu de solutions à défaut d'alternatives. Dans sa première apparition après les dangereux évènements, il a manqué de solutions. Il a parlé comme un commentateur des évènements sans parler comme un homme d'Etat. Par ailleurs, j'ai relevé son affirmation de la nécessité du dialogue et sa reconnaissance de l'échec du gouvernement qui aurait dû être plus franc avec le peuple. Tout en reconnaissant la nécessité du dialogue, il a voulu contourner l'initiative du parti républicain et d'Al-Massar en adoptant celle de l'UGTT. Ce n'est pas un problème. Nous considérons que l'UGTT est un partenaire actif. Nous sommes d'accord pour que l'UGTT joue un modérateur du débat. Un point positif. Il est contre la désignation du président de l'ISIE par les trois présidents, mais par la Constituante à la recherche d'une personnalité consensuelle. Il faut que le président de l'ISIE et ses membres soient élus à la majorité des . On peut gouverner le pays avec plus de 50% des voix, alors que les élections et ceux qui les organisent doivent gagner une unanimité. »
Chokri Belaïd : « La question de l'agenda est restée sans réponse »
Secrétaire général du Parti Unifié des Patriotes Démocrates, Chokri Belaïd, pense que l'entretien télévisé de Hamadi Jebali a envoyé « plusieurs messages internes concernant le parti Ennahdha. On remarque le retour de l'alliance entre Jebali et Ali Laârayedh, cette alliance mise à mal après les élections du 23 octobre. Il a transmis des messages politiques concernant le dossier des salafistes en contradiction avec les déclarations de Rached Ghannouchi. Il a affirmé qu'il prendra des mesures sécuritaires et de justice nécessaires. Le dossier de l'information est fermé. Il a reconnu que le gouvernement s'est trompé en s'opposant à L'information et aux journalistes. Pour les hommes d'affaires, leur dossier sera fermé. Ils avaient été exploités en laissant leurs dossiers ouverts. Il a reconnu de fait l'existence d'une crise politique et que la question de la légitimité du gouvernement se pose. C'est la raison pour laquelle il a adopté l'initiative de l'UGTT et a fait son éloge, alors qu'auparavant, il n'avait cessé d'attaquer la Centrale syndicale. C'est aussi une reconnaissance du rôle politique crucial que peut jouer l'UGTT vu sa position historique sur le plan national, fondamentalement patriotique. Ces messages sont restés généraux sans précision. La question de l'agenda pour l'élaboration de la Constitution, la loi électorale, l'installation de l'instance de l'information, celle de la magistrature et celle des élections est restée sans réponse. Quant au dialogue initié par l'UGTT, il doit être fixé dans le temps. Il ne peut durer éternellement. Le dialogue doit baliser les contours de la prochaine étape afin d'instaurer un climat rassurant. Le gouvernement actuel, comme reconnu par son chef, n'a pas été un facteur de stabilité. Quel gouvernement après le 23 octobre ? Des tarent apparaissent dans le discours du chef du Gouvernement, surtout à propos du climat social. Une grande tension existe dans la majorité des gouvernorats et des villes. Le chômage et le pouvoir d'achat ont été négligés par le chef du gouvernement. Il n'a avancé aucune mesure qui ouvre la voie de l'espoir pour des questions brûlantes. On remarque un retour en force de la solution sécuritaire aux mouvements de contestation sociale. Ce qui s'est passé à Sidi Bouzid, Menzel Bouzaiène, Dkhila et dans d'autres régions le confirment. Le discours du chef du Gouvernement n'a fait aucune allusion à des mesures économiques. Les choix du libéralisme sauvage sont maintenus. Ils hypothèquent le pays au profit des institutions financières internationales et consacrent la dépendance économique en reproduisant le même modèle de développement contre lequel le peuple s'est déjà révolté. Par ailleurs, l'entretien n'a pas clarifié le rôle des intervenants politiques dans les décisions gouvernementales. On remarque une immiscion farouche du président d'Ennahdha dans le travail gouvernemental alors qu'il n'a aucune position officielle qui lui permet d'agir de la sorte. Son intervention ne fait qu'approfondir la crise, l'incohérence et le manque de clarté ».
Mohamed Bennour : « Notre parti est favorable à l'initiative de l'UGTT »
Porte-parole d'Ettakatol, Mohamed Bennour rappelle que son parti, lors de son dernier Conseil national avait exprimé son accord sur l'initiative de l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT). « Nous avons vu beaucoup d'initiatives. Celle de l'UGTT est celle qui rassemble le plus. La déclaration de Hamadi Jebali, va dans ce sens. Nous espérons que l'UGTT joue son rôle dans la réalisation des objectifs de la Révolution en rompant avec le passé ».
Amor Chetoui : « L'action du gouvernement mérite une meilleure défense »
Membre de la direction du Congrès pour la République (CPR), Amor Chetoui, considère que la prestation de Hamadi Jebali est rassurante. « Il a défendu le gouvernement, mais il aurait pu être plus percutant. L'action du gouvernement mérite une meilleure défense. Sa vision est saine tout en exprimant les défis réels. Nous sommes favorables à l'initiative de l'UGTT qui a été l'incubateur de la Révolution. Elle est un partenaire naturel de l'étape actuelle. Le contraire serait anormal ».