Il n'y a pas longtemps, le juriste Ghazi Ghraïri était invité par le « Parti des Travailleurs » dan son nouveau local pour donner une conférence sur le brouillon de la constitution. Après l'introduction du sujet par le secrétaire général du parti, Dr Ghraïri a commencé par dire : « je suis d'accord avec si Hamma quand il dit que « le brouillon de la constitution » est une question précise et déterminante d'où vont découler, que l'on joue dans un sens qui nous satisfasse ou pas, les déterminants non seulement de la scène politique, mais aussi de la société dans sa globalité. Il a, ensuite, introduit sa conférence par la question suivante : « pourquoi la constitution est l'un des acquis de la Révolution ? »
Bâtir une nouvelle légitimité
Sa réponse à la question comprenait le rappel de celui qui, sur la base de son poste et en sa qualité personnelle, a appelé à l'amendement de la constitution de 1959 et de se contenter d'y introduire quelques rectifications esthétiques. Cette procédure était possible au niveau pratique et légal, a souligné le Dr, en citant l'exemple portugais lors de la transition démocratique où on a gardé partiellement l'ancienne constitution d'où on a gelé les articles qui entravait l'action démocratique et gardé le reste, ce qui veut dire que la technique constitutionnelle permet une telle option. « Ici, je rappelle qu'une équipe de juristes s'est réunie le 17 Janvier 2011 dans le cadre de la commission directive du droit constitutionnel, et on était les premiers à soutenir que la constitution a sapé l'ancienne légitimité et que, par conséquent, cette légitimité procurée par la Révolution devrait donner lieu à une nouvelle légitimité qui serait bâtie sur une nouvelle constitution ; parmi les parties qui ont le plus soutenu ce projet et qui y ont apporté leur contribution, je cite le « Front du 14 Janvier».
Consacrer la continuité
« Tout cela signifie que notre entreprise de rédiger une constitution constitue un premier succès, en ce sens que nous avons imposé à l'opinion publique dont une partie a demandé la conservation de l'ancien système et nous nous sommes attelés à la construction de cette nouvelle légitimité que nous souhaitons qu'elle soit l'écho de la légitimité révolutionnaire qui a fait croire à certains dans l'ANC qu'ils disposent d'un chèque en blanc leur permettant d'écrire ce qu'ils veulent dans la constitution, a ajouté Dr Ghraïri. Ils devraient comprendre la tâche qui leur incombe : l'élaboration d'une constitution qui rompt définitivement avec le passé et qui consacre la continuité par la conservation des spécificités de ce pays, parce que, dans notre environnement géographique élargi, on était les premiers à établir une constitution, et je parle, ici, de celle de Carthage qui était très avancée. C'est l'étendue de notre civilisation et l'identité doit commencer à partir de là, nous sommes, donc, une nation qui occupe une position et qui représente un poids au niveau constitutionnel. »
Pas de chèque en blanc
« Je m'arrête, également, à un autre stade qui se situe à l'aube du 19ème siècle où on était les premiers à abolir l'esclavage dans notre environnement arabo-musulman, ce qui a instauré une nouvelle équation entre l'individu et le groupe, d'une part, et l'individu et le système de gouvernement, de l'autre, a souligné le juriste. Cette œuvre était suivie de la déclaration du pacte de sûreté, en 1857, comme première déclaration de droits octroyant au gouvernant des prérogatives qui sont limitées par les droits des gouvernés, et tout de suite après cela, était née la première constitution arabe, en 1861, qui était confortée par le texte beylical: « Déclaration des droits du souverain et des sujets » au cours de la même année. Par conséquent, conformément à toutes ces données, ceux qui écrivent la constitution sont appelés à ne pas se comporter avec nous avec le fondamentalisme constitutionnel comme si le pays était une page blanche : l'ANC est chargée de rédiger une constitution qui répond aux conditions dans le cadre desquelles et pour lesquelles elle était élue, une constitution qui continue de lever le flambeau dans notre environnement. Donc, elle n'a pas les mains libres comme le pense une grande partie en son sein, a précisé Dr Ghraïri ».
Le rôle du truchement
Que la Tunisie et l'Egypte soient le berceau de ce qu'on appelle le « printemps arabe » n'est pas un hasard, suivant lui, ces révolutions trouvent leur origine dans le mouvement réformiste du 19ème siècle avec Rifaâ Tahtaoui, Kheireddine Pacha et compagnie. Il existe des situations sociales et un élan historique qui expliquent une partie de la réalité qu'on vit, fait-il observer. « On a voté une constituante, dans le sens technique du terme, pour qu'elle nous donne une constitution au sens des quotas partisans, ce qui est une erreur non pas au sens politique, mais au sens civilisationnel. Nous sommes investis d'une mission avant-gardiste qu'on a l'obligation de poursuivre. Les députés devraient comprendre que ce sont les Tunisiens qui vont écrire la constitution et qu'ils ne sont qu'un moyen, et en conséquence, le truchement ne pourrait, en aucun cas, se substituer à la volonté qui l'a chargé d'une tâche. Il est impératif qu'on se représente cela non seulement dans notre lecture du texte constitutionnel, mais également dans notre positionnement politique, je dis ceci tout en m'adressant à un parti qui a son poids dans les luttes de ce pays, depuis des décennies, relativement à la question d'émancipation de l'individu dans ses rapports, premièrement, avec les autorités et, secondairement, les forces qui n'aimeraient pas le voir émancipé dans la société, a affirmé Gr Ghraïri. »
Non à la schizophrénie !
Il a soutenu, avec insistance, qu'il est impératif de voir, dans la nouvelle constitution, la rupture avec la confiscation des libertés qui dominait dans le système constitutionnel précédent frappé de schizophrénie, étant donné que la constitution de 1959 était une constitution libérale pas mauvaise du point de vue de l'adoption des droits, leur affirmation et leur garantie au niveau des principes, mais leur organisation, la précision de ses articles et les procédures revenaient au pouvoir législatif qui n'était pas en harmonie avec ces principes, et à titre d'exemple, il y avait la loi du 7 Novembre 1959 de mauvaise réputation se rapportant à l'organisation des associations et qui en accordait les prérogatives au ministre de l'intérieur, d'où l'étouffement de ces libertés reconnues constitutionnellement. « Et nous risquons de connaître la même situation, c'est-à-dire que ces libertés seraient confisquées si on introduisait des formules telles que la « conformité à l'ordre général », « l'incompatibilité avec les bonnes mœurs » ou bien encore la « non atteinte au sacré ». Telles sont les notions à contenu indéterminé, en terme juridique, que décréteraient le juge ou le responsable administratif après quelques années et, on ressusciterait, de ce fait, la constitution de 1959. » Donc, selon Dr Ghraïri, c'est pour éviter une telle régression qu'il faut constitutionnaliser les libertés générales ainsi que les droits économiques et sociaux.
Désengagement international
« A côté de ces méthodes subtilisant les droits, a-t-il poursuivi, il y a aussi l'imprécision de la formulation des lois où les termes employés sont incompatibles avec les revendications sociales et humanistes et les paramètres juridiques. Par exemple, dans l'article interdisant le retrait de la nationalité, il est stipulé que l'Etat tunisien ne livre pas les Tunisiens à des parties étrangères ; ici, le texte n'est pas formulé conformément au principe constitutionnel qui énonce que l'Etat tunisien ne livre pas ses citoyens à d'autres pays pour jugements ou autres. Et il faut rappeler que l'Etat tunisien a adhéré, dès les premiers jours de la Révolution, à la convention de Rome à propos de la cour pénale internationale, ce qui veut dire que cet engagement devient comme un coup d'épée dans l'eau, parce que, parmi les parties auxquelles il est fait allusion, il y a le conseil international de sécurité et les tribunaux internationaux, et cela constitue un désengagement vis-à-vis d'une convention ayant placé les droits de l'homme à un stade supérieur par la signature de l'accord de Rome. Il se pourrait qu'il n'y ait pas de mauvaise intention, mais seulement un manque de précision et de connaissance en raison de la synonymie des deux termes « Etat » et « partie »... même cela n'est pas admissible, a avancé Dr Ghraïri. »
L'ambiguïté voulue
« La question de la femme soulève, également, nos inquiétudes et nos appréhensions, a-t-il déclaré, car le parti prépondérant au sein de l'ANC n'est pas parmi les défenseurs de ces droits et se trouve contraint de jouer ce rôle dans un pays où les droits de la femme occupent un rang assez élevé. Les convictions hostiles de sa part vis-à-vis de ces acquis se vérifient dans son attachement au cadre familial, ce qui reflète sa conception classique et rétrograde de la société. Il a exprimé cette position par l'emploi du terme «complémentarité » qui exprime une dégradation non seulement au niveau législatif auquel on est parvenu par le fait du code du statut personnel, mais aussi par le fait du code du travail, des droits sociaux, de nos engagements vis-à-vis des conventions internationales d'autant plus que le gouvernement tunisien a levé, au début de la Révolution et contre son gré, les réserves concernant la déclaration générale de la CEDAW(convention sur toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes) émises par Ben Ali, a indiqué le juriste. Toutes ces mesures consignées dans le brouillon de la constitution constituent une régression constitutionnelle. Pour trancher le débat autour des notions où ils prétendent vouloir entendre « égalité » en utilisant le terme « complémentarité », on pourrait très bien employer une courte phrase pour exprimer cela d'une manière tout à fait claire et non équivoque : « tous les citoyens sont égaux devant les droits et les devoirs, a conclu Dr Ghraïri ».