Jamais Opposition tunisienne n'avait été autant soudée et solidaire que du temps de Ben Ali. Mettant au placard leurs différends idéologiques et leur projet sociétal, laïcs et islamistes s'allient ensemble pour crier leur ras-le-bol de la répression policière et des violations des libertés universelles en Tunisie. On était le 18 octobre 2005, soit sept ans en arrière. L'oppression benalinienne était à son paroxysme. Le pays sombrait dans un calvaire infernal. La situation des droits de l'Homme était chaotique. La dictature resserre son étau et tisse sa toile machiavéliquement. L'Opposition tunisienne a décidé d'agir contre la détérioration vertigineuse des libertés individuelles et associatives. Une grève de la faim illimitée est entamée le 18 octobre 2005. Retour sur une date hautement emblématique. Hamma Hammami, à l'époque Porte-parole du POCT (Parti communiste ouvrier tunisien, Ahmed Néjib Chabbi, Secrétaire général du PDP (Parti démocratique progressiste), Abderraouf Ayadi, Secrétaire général du CPR (parti du Congrès pour la république), Mohamed Nouri, Président de l'Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), Ayachi Hammami, Président du Comité de soutien à Me Mohamed Abbou et Secrétaire général de la section de Tunis de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme (LTDH), Samir Dilou, membre du bureau de l'AISPP et du Comité de défense de Mohammed Abbou, Mokhtar Yahyaoui, magistrat et Président du Centre pour l'indépendance de la justice (CIJ), et Lotfi Hajji, Président du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) ont entamé une grève de la faim illimitée afin de tirer la sonnette d'alarme et attirer la conscience collective internationale quant au gouffre dans lequel sont englouties les libertés humaines fondamentales en Tunisie. Le sommet SMSI, une aubaine pour secouer l'opinion publique et internationale C'est autour d'un dîner chez Ahmed Néjib Chebbi que l'idée de la grève de la faim a germé dans l'esprit des opposants. Le Sommet Mondial sur la Société de l'Information était, pour eux, le moment propice pour médiatiser cette prise de position. Durant l'ère de Ben Ali, l'information était cadenassée. Les médias étaient muselés et Internet était sous contrôle. L'Opposition réfléchissait à la manière avec laquelle elle procèderait pour assurer la médiatisation de la grève de la faim. Le SMSI était là. Un sommet qui a lieu au cœur de la Tunisie, sous le système despotique de Ben Ali, et où tout le monde, y compris les médias et les opposants, devront faire semblant et faire croire à l'opinion internationale, que les Tunisiens vivent dans l'Eldorado, que l'information est accessible et que les droits humains universels sont garantis et respectés. Une comédie en somme pour masquer ce que le peuple tunisien endure depuis des années. Le Collectif 18 octobre : quand l'alliance Islamistes/ Modernistes était tangible
La grève de la faim était, d'abord, prévue le 11 octobre, mais pour des raisons d'organisation, on la reporte au 18 octobre. Broyée et comprimée par l'échec cuisant des élections municipales de mai 2005 et par la énième rectification constitutionnelle que l'ancien président a effectuée pour avoir un quatrième mandat, l'Opposition tente bien que mal de se ressaisir et de s'allier pour affronter le dictateur. Or, le clivage idéologique et les aspirations hétéroclites des opposants piétinaient cette alliance et les empêchait de former un réel front contre le RCD. Néanmoins, un événement marquant a fait que l'alliance Islamiste/ Laïcs était possible. L'incarcération arbitraire de Mohamed Abbou, pour ses articles virulents, a ébranlé l'ordre des choses. Pendant plus de 50 jours, les avocats, toute appartenance politique et idéologique confondues : nationalistes, laïcs, islamistes, modernistes, se serrent les coudent, mettent la main dans la main et investissent la maison de l'avocat.
N'a-t-on toujours pas dit que l'union fait la force ? Pour renverser le pouvoir absolu de l'ancien régime, l'Opposition a compris que le salut n'est possible que dans la solidarité. La grève est entamée sous une haute surveillance policière. Un dispositif policier massif encercle les locaux où a lieu la grève. L'accès est interdit à la société civile, aux médias et aux supporters des grévistes. Même les trois médecins qui désiraient ausculter les grévistes de la faim étaient empêchés de pénétrer dans les lieux et étaient même humiliés. Il fallait la visite d'une délégation de la présidence de l'Union européenne pour que la levée du siège ait lieu. Triste constat, aujourd'hui La dictature benalinienne n'est plus. Le RCD, cet amas d'opportunistes n'est plus. Les anciens militants prennent le pouvoir. Le ras-le-bol populaire a mis fin au régime répressif. Les premières élections libres et transparentes ont lieu. Les Tunisiens obnubilés par ce souffle libérateur croyaient enfin au miracle.
Presque deux ans plus tard, le désenchantement gagne de plus en plus du terrain. Nos anciens militants, n'ayant pu exercer la politique auparavant, sont immatures politiquement et enchaînent les erreurs. Les clivages et conflits idéologiques ressurgissent. Les projets sociétaux, les ambitions économiques et intérêts politiques partitiques et individuels prennent le dessus.
Les débats s'enveniment et les accusations fusent de partout. L'Opposition du 18 octobre 2005 n'est plus. L'alliance s'étiole et le mythe de cette date a disparu. Aujourd'hui, les opposants de Ben Ali se guerroient entre eux. Nationalistes, islamistes, laïques, réformistes, modernistes ou rétrogrades se livrent la guerre du pouvoir. Les uns ne veulent pas, au nom de la légitimité, se remettre en question et reconnaître leurs lacunes. Les autres, se plaisent à envenimer la situation. D'autres encore forment des fronts pour collecter les voix et avoir du poids dans la scène politique. Pas l'ombre d'un accord. Le Collectif 18 octobre n'est plus. Le 23 octobre approche à grands pas. Une date qui devrait, logiquement, sonner la fin de la légitimité du gouvernement provisoire actuel.
A l'approche du 23, le pays va mal. La paranoïa fige les Tunisiens et le pacte de confiance avec les politiciens est rompu depuis des mois. Les acteurs de la scène politique se rendent compte qu'un dialogue national est obligatoire pour sortir de cette crise avec le moins de dégâts possibles et sauver ce qui reste de cette étape transitoire assez précaire. Certains ont répondu présents, hier, à l'initiative de l'UGTT qui appelle toutes les forces politiques à dialoguer ensemble et à écarter leurs différends, alors que d'autres ont préféré rester dans leur Panthéon.