Massée devant le Tribunal de première instance de la Manouba, une foule estimée, à un moment où de nombreux manifestants avaient commencé à se retirer, à plus d'un millier de personnes par celui qui sait compter les oiseaux (il se reconnaîtra),mais bien plus nombreuse au plus fort du rassemblement, a tenu à exprimer le 25 octobre dernier, sa solidarité avec le Doyen Habib Kazdaghli et les artistes poursuivis par la justice. Affluant de bonne heure devant le siège du tribunal, les manifestants ne se sont dispersés que vers onze heures, lorsqu'Habib Kazdaghli, libéré par les journalistes tunisiens et étrangers venus très nombreux pour couvrir l'évènement et solliciter ses déclarations à la sortie de l'audience, quittait les lieux. Plusieurs personnalités politiques et syndicales, d'anciens ministres, des députés de l'Assemblée nationale constituante, membres du groupe démocratique, d'éminents représentants de la société civile, du monde de la culture et des arts, des défenseurs emblématiques des droits humains et une délégation de l'Université libre de Bruxelles conduite par le professeur Jean-Philippe Schreiber ont rehaussé de leur prestigieuse présence ce rassemblement historique, mettant en valeur la qualité de la mobilisation. La participation remarquée et remarquable d'Ahmed Ben Salah, dictée non par un quelconque parti pris mais par la conviction de l'innocence du Doyen, a ému l'assistance et semblait, à elle seule, en être l'illustre témoignage.
C'est d'abord cette conviction et la certitude du caractère éminemment politique du procès et des poursuites engagées contre les artistes d'El Abdellia qui ont poussé autant de femmes et d'hommes, autant d'universitaires, autant de médecins, autant d'artistes, autant d'avocats, autant de jeunes, autant de retraités et de nombreux amis étrangers à soutenir le Doyen de la Manouba. De nombreuses banderoles et pancartes ont mis en évidence soit la nature inique du procès et des poursuites, soit le caractère mensonger d'une histoire cousue de fil blanc et les auteurs des slogans qui y figurent ont exigé, en conséquence, l'acquittement du doyen et le non-lieu pour les artistes. Les plus remarquables étaient celles de l'Union régionale du Travail de la Manouba dont le secrétaire général, Mustapha Medini, présent au rassemblement, a battu le rappel de tous les syndicats de la région.
Les manifestants étaient également mus par un sentiment de responsabilité civique qui les a incités à exiger le respect des libertés académiques et artistiques et des valeurs universitaires dans d'autres banderoles. Ils craignaient surtout que le procès intenté contre le Doyen de la FLAHM, pour une agression imaginaire, ne continue à être mené dans l'esprit de cette justice orientée et instrumentalisée combattue avec une grande détermination par les magistrats tunisiens mais que le nouveau pouvoir tente de perpétuer et qui a caractérisé l'instruction du dossier et la première audience du procès. Elle a également permis d'alourdir les charges retenues contre le Doyen. Maître Marie Guiraud, déléguée en mission d'observation judiciaire par la Fédération Internationale des Droits de l'homme l'a bien vu : « La FIDH était pour le moins inquiète des messages que pouvait donner ce procès. L'objectif de cette mission était véritablement de vérifier si les principes de base d'un procès équitable seraient respectés dans le cadre de cette affaire. De ce que nous avons pu voir du dossier, cela nous paraissait inquiétant », a-t-elle déclaré à la sortie de l'audience.
Ce sont ces inquiétudes qui expliquent la présence des missions d'observation et cette affluence record enregistrée à l'occasion du rassemblement malgré le contexte a priori défavorable d'une audience programmée le 25 octobre, jour férié pour les universitaires avec le risque de démobilisation qui aurait pu résulter de ce choix.
Mais au grand soulagement de ceux qui, après des négociations ardues, ont pu accéder à la salle d'audience, le président du tribunal semble avoir voulu, par sa manière impartiale de conduire l'interrogatoire du Doyen et des deux niqabées qui l'ont agressée, dissiper ces craintes et assurer l'assistance la détermination de l'appareil judiciaire à défendre l'indépendance de la magistrature, son souci de garantir la régularité du procès et de respecter les droits de la défense. Une défense qui tient à jouer pleinement son rôle quitte à provoquer une justice qu'elle accuse de ne pas se soucier, dans cette affaire, des intérêts de l'Etat. De ce point de vue, l'un des avocats s'et étonné que le ministère public n'ait pas informé le contentieux de l'Etat des conséquences de la mise à sac du bureau du doyen par les des deux niqabées : dégradation de biens publics et détérioration de documents publics pourtant dûment constatées et de la possibilité de se constituer partie civile.
L'impression favorable ressentie est également partagée par Pierre Galand, président de la Fédération humaniste européenne et membre de la délégation de l'Université Libre de Bruxelles qui a déclaré : « J'ai pu assister au procès sans encombre et sans difficulté. C'est quand même un signal positif qu'il faut enregistrer. Le fait que le plaignant, le Doyen, puisse avoir autour de lui une défense de 30 avocats, le fait qu'il puisse avoir autour de lui nombre d'enseignants pour témoigner de leur solidarité avec la cause du Doyen, ça me paraît des signaux extrêmement importants et intéressants. Le fait que cette défense est unie aussi, cela témoigne qu'il y a dans cette société un ensemble de mouvements qui se font et qui se structurent, une société en pleine évolution et structuration. Je suis plutôt très positivement impressionné ».
Maître Marie Guiraud refroidit quelque peu l'enthousiasme de Pierre Galand et de ceux à qui la tournure positive prise par le procès inspire beaucoup d'optimisme : « Je ne dirai pas qu'on est rassuré puisque finalement il ne s'agissait que d'une simple audience de procédure. Nous verrons le 15 novembre si le fait que ces jeunes filles comparaissent également en qualité d'auteurs, éventuellement peut changer la donne ou non ». Le procès a été effectivement reporté au 15 novembre pour permettre à chacune des parties de se constituer partie civile. Le Doyen Kazdaghli s'en plaint non parce que le report prolonge son calvaire mais parce que le dossier « use l'énergie des universitaires qui sont censés s'occuper d'autres choses en ce moment plus importantes pour le pays», a-t-il affirmé à sa sortie du tribunal. C'est pour cette raison qu'il souhaite voir ce dossier classé le plutôt possible. Ce vœu ne sera pas exaucé le 15 novembre prochain. Les juges seront comme tous les Tunisiens, en train de célébrer, ce jour-là le nouvel an musulman et le procès sera à nouveau reporté. Par Habib Mellakh Universitaire, syndicaliste, professeur de littérature française à la FLAHM