«Plus vous prétendez comprimer la presse, plus l'explosion sera forte. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle.», Chateaubriand. «Soutenons la liberté de la presse, c'est la base de toutes les autres libertés, c'est par là qu'on s'éclaire mutuellement.», Voltaire. La presse est ce réceptacle de tous les tourments populaires et des soubresauts révolutionnaires. Elle suscite les révolutions et éclaire les esprits engloutis dans un obscurantisme nauséabond. La dompter, reviendrait à dire, préparer de nouveau le terrain aux folies des intérêts politiques au détriment de la démocratie et de la justice sociale. Le 3 mai est fort heureusement là, pour rappeler, commémorer et surtout tirer la sonnette d'alarme en cas d'abus. Hier, ont pris fin les festivités de la Journée mondiale de la liberté de la presse, qui a eu lieu en Tunisie. Durant vendredi et samedi, une palette aussi riche qu'enrichissante de conférences ont été données tout au long des deux journées. Des experts nationaux et internationaux en journalisme, en droits de l'Homme et composante de la société civile ont assisté en tant que panelistes, intervenants et observateurs enrichissant les débats. «On ne badine pas avec l'amour» de la liberté de la presse Au cliquetis des verres et le cohue-bohu des grandes salles, répondait le fourmillement humain autour des conférences données simultanément ici et là. Au total, 16 sessions et événements ont eu lieu durant les deux journées du colloque. Précédées par une séance plénière dont le thème était : «La liberté de la presse, un vecteur de transformation des sociétés : les nouvelles voix, les jeunes et les médias sociaux», les conférences se sont focalisées sur les grands enjeux de la liberté de l'expression, profitant de cette occasion pour exposer les expériences de plusieurs pays ayant connu la transition démocratique et surtout soutenir les journalistes dans la réussite de ce cap précaire et sensible. C'est, d'ailleurs, dans ce sens-là, qu'une session intitulée «Ethiques journalistiques dans les situations de transition» a été donnée. Pour accompagner les médias tunisiens dans cette phase transitoire, les experts internationaux et locaux ont étayé que les journalistes doivent d'abord changer de réflexes et de mentalités héritées d'un régime dictatorial. Le changement de la ligne éditoriale constitue un véritable défi étant donné que cela ne pourrait se faire du jour au lendemain. Par ailleurs, les pénalistes rappellent que le meilleur moyen de tenir à distance les gouvernements et les institutions du pouvoir, est le travail d'investigation tout en respectant la déontologie du métier. Les éthiques journalistiques internationales devront s'appliquer pour que les médias puissent jouer le rôle de propulseur de la réalité et être les «chiens de garde». Il s'agissait de montrer aux journalistes les moyens de divulgation des dossiers équivoques et la lutte contre la corruption. Aussi, la question d'un pacte de confiance à signer avec les citoyens, notamment ce qui concerne la couverture de sujets assez sensibles tel que la religion. A travers cette session, les experts ont expliqué les divers moyens par le biais desquels, le pouvoir public et les institutions médiatiques pourraient booster l'indépendance et la neutralité de la presse. «Le droit de dire et d'imprimer ce que nous pensons est le droit de tout homme libre, dont on ne saurait le priver sans exercer la tyrannie la plus odieuse.», François-Marie Voltaire. Une autre conférence se déroulant parallèlement, animée par la directrice exécutive de l'ONG «Article 19», Mme. Agnès Callamard, a traité le rôle fondamental du gouvernement et de l'Assemblée constituante dans la réforme de la presse pendant la période transitoire. Pour enrichir le débat et exposer aux Tunisiens l'exemple de pays qui sont passés par la transition démocratique, plusieurs invités de marque ont répondu présents. Nous citerons le lauréat du Prix UNESCO/Guillermo Cano 2012, le journaliste Azerbaïdjanais, M.Eynulla Fattulayev ; M. Gitobu Imanyara, Membre du Parlement et ancien journaliste au Kenya ; M. Mamadou Kamara, professeur universitaire sénégalais et ancien membre de la Haute autorité pour l'audiovisuel et la communication au Sénégal. Durant cette session il était question du rôle fondamental des réformes législatives et réglementaires de la presse dans la réussite ou l'échec d'une transition démocratique. Le défi posé est la manière par laquelle un gouvernement ou une Assemblée constituante récemment élus peuvent coopérer dans l'écriture des textes de loi, avec les ONG et la Société civile, surtout en ce qui concerne la réforme des médias. Divers autres thèmes ont été abordés durant la kyrielle de conférences données. Nous citerons, La régulation et l'autorégulation de l'espace médiatique, Améliorer la sécurité du personnel des médias traditionnels et des praticiens des nouveaux médias, Innovations dans la collecte et le partage de l'information, L'accès à l'information, Configurations des médias numériques, Les médias et l'implication du public, Médias sociaux (influence, mise en réseau et sécurité), Développer la radiotélévision de service public en période de transition, Dépénalisation de la parole, etc.… Melek LAKDAR
Kathkeen M. Fitzpatrick (Députée assistante et Secrétaire d'Etat au Bureau de Démocratie et des Droits humains, aux Etats-Unis) Le Temps : Pourriez-vous nous expliquer la raison exacte de votre présence à la Journée mondiale de la liberté de la presse, vous qui êtes plutôt dans les droits de l'Homme ? Kathkeen M. Fitzpatrick : Aujourd'hui, je suis là pour célébrer avec les Tunisiens la Journée mondiale de la liberté de la presse. J'aime beaucoup le déroulement du colloque. Les sujets sont très intéressants et fructueux pour les Etats-Unis. Ça reprend ce que notre président a étayé sur l'importance de la liberté de la presse et de l'expression. Nous soutenons l'Afrique dans sa démarche pour émanciper la presse et instaurer la démocratie. Les Etats-Unis supportent le Continent africain dans la protection de la liberté des médias, de l'expression et celle d'internet. Tous les genres journalistiques et moyens de communication doivent obligatoirement être libres et indépendants aussi bien l'audiovisuel, la presse écrite ou électronique. Parce que les médias sont un moyen et pour les citoyens et pour les journalistes pour exprimer leur opinion et diffuser l'information. D'ailleurs, je ne fais que reprendre en quelques mots le discours d'ouverture de la Journée mondiale de la liberté de la presse, la Secrétaire générale de l'UNESCO, M. Ban Ki-moon. En tant que défenseur des droits de l'Homme, que pensez-vous de la situation des médias tunisiens, après cette campagne livrée contre lui et les agressions dont ont été l'objet plusieurs journalistes ? Vous savez ? Vous êtes le leader du Printemps arabe et vous êtes le premier peuple qui s'est soulevé contre la dictature. La Tunisie est la pionnière dans la métamorphose des régions arabes et le Moyen-Orient. Nous, Américains, nous vous vouons un grand respect pour ce que vous avez fait et êtes en train de faire durant cette phase délicate qu'est la transition démocratique. Pour ce qui est des médias. On sait que vous êtes libres maintenant et que la liberté d'expression est effective en Tunisie. Il n'en demeure pas moins que, ce qui a eu lieu, ces derniers temps, inquiètent. Tel que l'a déclaré notre ambassadeur en Tunisie quant au procès de Nessma Tv que c'est un acte décevant et comminatoire. Condamner un média pour un motif pareil met en péril la situation de la liberté d'expression en Tunisie. Ça nous frustre parce que l'on a peur pour cette démocratie naissante même si nous sommes certains que les Tunisiens persévéreront. Ce procès est troublant et on tient réellement à ce que la Tunisie réussisse ce processus démocratique et que la liberté de la presse soit garantie. La liberté de l'expression et de la presse est un droit universel dont tout un chacun doit jouir sans qu'il y ait de contrainte ou d'intimidation. C'est l'ultime moyen pour garantir la justice sociale. Tout notre espoir est que la Tunisie consolide ce droit humain et que ça puisse illuminer tout le Monde arabe. Chacun a le droit d'exprimer son opinion, média ou simple citoyen. Et pour parler démocratie, il faut respecter la pluralité des avis, la différence idéologique et le dialogue fructueux. Au final, j'aimerais juste rajouter que je suis fière de ce que les Tunisiens ont réalisé jusqu'à présent et je les invite à demeurer vigilants et continuer le combat pour la liberté de la presse et de l'expression.