Le campus universitaire El Manar, centre d'accueil du Forum Social Mondial, est transformé en une vraie ruche d'abeilles où les séminaires et les ateliers se suivent et se bousculent. L'un de ces derniers portant sur les processus révolutionnaires a particulièrement retenu notre attention. Il était organisé par le parti français de gauche Les Alternatifs et l'Association Pour l'Autogestion qui lui est très proche. Cet atelier était présenté par Nathalie Marcu et, principalement, animé par Bruno Della Suda. Les deux phases de la révolution Il est évident que la révolution est un processus dont la longueur varie en fonction des spécificités de chaque pays. D'aucuns pensent qu'il serait meilleur que ce processus suive une courbe ascendante plus ou moins lente à travers le temps pour mieux mûrir plutôt que d'être court. A ce propos, l'animateur de l'atelier avance l'exemple de la Révolution bolchévique comme modèle de révolution presque fulgurante qui marque la puissance de l'événement en pleine boucherie de la 1ère guerre mondiale et devient la référence par excellence de la gauche radicale et de la gauche communiste en général. Cette fascination nous fait oublier, selon lui, les caractéristiques générales des révolutions dont l'accumulation des ruptures. La rapidité d'exécution fait ériger une barrière infranchissable entre la direction révolutionnaire et le peuple qui se trouve ainsi écarté de la gestion de la vie sociale et politique. Le corollaire d'une telle réalité c'est le recul des libertés et l'instauration de la bureaucratie et de la répression, toujours d'après Della Suda qui considère que toutes les guerres anticoloniales des années 60/70 constituent des révolutions de la première phase qui ont été, par la suite, avortées, vu que ces pays du tiers monde émancipés n'ont pas pu se constituer en une force de lutte. Ils reprennent leur second souffle révolutionnaire au début du 3ème millénaire avec la confiscation des souverainetés par l'impérialisme. Les mouvements les plus tranchants ont comme bastions l'Amérique indo-afro-latine, comme il aime l'appeler, et le monde arabe où ils prennent une double dimension démocratique et sociale. Ces mouvements sont radicalisés par une aspiration profonde à un processus de sécularisation, de mise à distance du fait religieux, la fin de la transition démographique et la grande poussée des femmes. La muse arabe A l'interface de ces deux dynamiques, se dessine le refus de la corruption et du modèle politique qui l'a engendrée. Ces processus continuent malgré la contrerévolution grâce à la mobilisation et à la vigilance citoyennes et au mouvement social sur les lieux du travail, dans les universités et sur l'ensemble du territoire national contre les menaces de toute sorte. La situation est, à ce propos, rassurante, suivant Della Suda, puisqu'aucun des régimes renversés n'est revenu au pouvoir. Les peuples de ces régions en ont assez de la délégation du pouvoir et de sa personnalisation, ils sont, dorénavant, persuadés qu'un autre monde est possible où l'autogestion, c'est-à-dire la gestion populaire, serait le but, le chemin et le moyen. Il est grand temps de passer du capitalisme au socialisme d'autant plus que la crise est générale, elle est civilisationnelle, économique et financières, avec les conséquences néfastes qu'elle engendre pour les classes laborieuses, démocratique, avec toutes les limitations qu'elle apporte aux libertés fondamentales, géostratégique, avec la fin de la domination du Nord sur le Sud, et écologique, qui est la plus sévère pour le monde capitaliste, avec l'épuisement des ressources naturelles qui posent la question des énergies alternatives. Conformément à l'approche de Bruno Della Suda, même l'Europe a connu cette révolution à processus lent, les manifestations les plus sensibles en sont le mouvement d'émancipation féministe, la scolarisation des masses, en particulier celle des filles, et l'écologie développée par l'action militante et soutenue des Verts. Le printemps arabe agit comme une muse chez les peuples d'Europe qui s'en inspirent pour consolider leurs mouvements revendicatifs et chanter leur victoire sur le capitalisme. Les révolutions arabes, qui constituent un processus en marche et qui sont l'expression d'une soif de démocratie et d'égalité et d'une volonté tenace de distribuer équitablement les richesses, ouvrent un espoir à l'échelle mondiale. L'autre zone de tempête, c'est l'Amérique indo-afro-latine qui vit une grande dynamique où émancipation et reconstruction se succèdent à une cadence effrénée. Suivant Della Suda, dans ce climat révolutionnaire, une démocratie active, dont les ingrédients seraient, entre autres, les coopératives et les budgets participatifs, reste très possible. Mobilisation et vigilance En fait, plusieurs longs processus n'ont pas abouti et ont échoué, en définitive et après de longues années d'espoir passées dans l'expectative, sur le roc du néo-libéralisme comme c'est le cas, par exemple, de l'Espagne qui vit, actuellement, la politique de rigueur sur le plan socio-économique et l'étouffement de la liberté de la presse à cause de la mainmise de l'Etat sur les médias par le biais des nominations au sein de ces institutions (voir notre article du 21 octobre 2012). Il est de même pour certains pays d'Amérique Latine tels que le Chili où les partis de gauche, à l'image du parti communiste, voient leur action paralysée et leur voix étouffée et où la privatisation bat son plein, puisque l'Etat se désengage presque totalement de secteurs vitaux comme l'enseignement et la santé. D'autre part, il ne serait pas exact de prétendre qu'aucun régime de ceux qui ont été déchus n'est revenu au pouvoir, parce que la transition n'est que superficielle et ne touche qu'au décor pour donner l'illusion d'un vrai changement. Les puissances impérialistes ne veulent aucunement d'une rupture réelle qui risque fort de menacer leurs intérêts, elles se contentent d'une simple substitution de noms tout en préservant l'essentiel, à savoir des régimes dociles à leur service qui veillent bien sur ces intérêts. Ceci dit, que ce soit en Egypte ou bien en Tunisie, le processus est encore long, il va devoir redoubler de mobilisation et de vigilance pour barrer la route à tous les contrerévolutionnaires et éviter le tragique scénario iranien où les Islamistes ont confisqué la Révolution à ses vrais artisans, les militants des partis marxistes, Pekar et Tudeh, qu'ils ont sauvagement et lâchement assassinés. Le film Persépolis est là pour nous dessiller les yeux et nous renseigner sur cette tragédie...