Sommes-nous en phase de transition démocratique ou plutôt, assurons-nous la transition vers la démocratie ? Où va la transition démocratique ? Des questions auxquelles il est encore difficile de répondre à cause de l'instabilité du paysage politique, marqué par la violence, le retard d'élaboration de la Constitution, la création des hautes autorités et instances indépendantes pour l'organisation de la justice, des élections, et de l'audiovisuel… Le chemin vers la démocratie semble être long à parcourir pour plusieurs acteurs politiques. Certains trouvent d'ailleurs, leur compte dans cette situation qui perdure, à l'exception de la société civile. Elle est en fait, avertie face à ce qui se passe et œuvre selon les moyens du bord pour contrôler le gouvernement provisoire. Il s'agit de l'une des missions de l'association « Vigilance pour la Démocratie et l'Etat de Droit» qui s'est déplacée lors du weekend à Mahdia pour parler de la transition démocratique en Tunisie. Beaucoup reste à faire à ce niveau. D'ailleurs, rien n'a été fait pour assurer une transition vers la démocratie. La Constitution tarde à voir le jour. Aucune visibilité par rapport à la date des élections, c'est encore le flou au niveau de l'agenda politique, c'est ce qui inquiète les acteurs engagés dans cette lutte supposée être une affaire de tous, et non pas limitée à une frange bien déterminée. «L'implication dans la vie de la cité et la politique est une affaire sérieuse. Un homme ne peut vivre véritablement sans être un citoyen et sans résister », c'est l'esprit de la pensée du philosophe et journaliste italien Gramsci qui a inspiré l'artiste Amal Hamrouni, dimanche matin à Mahdia. Présentant « Vigilance », l'artiste condamne « l'indifférence », synonyme de la fatalité, de l'absentéisme, voire de la lâcheté et du rejet de la vie. C'est pour ces raisons, d'ailleurs, que Gramsci « hait les indifférents ». « L'indifférence, est pour le philosophe, le poids mort de l'histoire ». Idem pour l'artiste engagée. Elle considère que « le citoyen doit rompre avec cette culture pour pouvoir changer le paysage dans lequel il vit. D'ailleurs, il n'a pas le choix. Il doit assumer sa responsabilité entièrement », considère Amal Hamrouni. Une idée certes, idyllique, difficile à concrétiser, car cela nécessite un travail de longue haleine. Mais chacun à sa manière, tente de changer le paysage actuel marqué par une violence politique sans précédent et surtout, le flou total à tous les niveaux. «Vigilance » Om Zied, fondatrice de Vigilance, précise que c'est l'une des missions dévolues à cette association. « Elle est spécialisée dans le contrôle du domaine politique », déclare la militante des droits de l'Homme. Mais pourquoi ? Pourquoi en ce moment ? Car, « il y a risque de dérive », explique Om Zied tout en précisant que les Tunisiens ont aspiré après la Révolution à instituer un Etat civil. «La Révolution a été réalisée, mais il y a un risque de régression », s'inquiète-t-elle tout en ajoutant que « les signes de soumission et d'acceptation du fait accompli existent ». « Les signes de l'Etat théocratique apparaissent à l'horizon », enchaîne Om Zied qui a résumé les événements survenus au bout de deux ans. « Nous n'avons pas réalisé ce que nous voulions lors de cette phase ». Au contraire, il y a eu des choses que nous ne voudrions pas ». Pour mieux expliquer son idée, Om Zied a précisé que l'une des principales requêtes consiste en « la création d'une Assemblée Nationale Constituante pour élaborer une Constitution protectrice de l'Etat civil, des libertés et pour gérer la chose publique ». Mais, « la Constitution tarde à être élaborée, sans pour autant oublier qu'il existe d'autres problèmes à ce niveau. Il s'agit notamment, de l'introduction des questions religieuses qui n'ont rien à avoir avec la loi », critique Om Zied. Ce n'est pas tout. La militante s'inquiète également par rapport aux élections. Elle considère que l'attention des Tunisiens est désorientée de ce point primordial pour la transition démocratique. « L'opinion publique est occupée par des sujets, à l'instar des déclarations de Marzouki, des réactions de Sihem Badi, alors qu'il faut prêter plus d'attention aux élections ». Justice, liberté de la presse En fait, la transition démocratique ou la transition vers la démocratie est tributaire de plusieurs facteurs. Elle dépend en effet, de l'indépendance de la justice, de la presse et de l'établissement d'un environnement socio-économique stable et équitable. Dans ce cadre, le juriste Mondher Sik Salem insiste sur l'urgence et l'importance d'instaurer une instance indépendante de la magistrature. Car « le retard ne fait que servir les intérêts du pouvoir exécutif et ceux qui aspirent rétablir l'hégémonie et la domination », souligne le juriste. De son côté, Kamal Laâbidi, président de l'INRIC, a fait une lecture des menaces qui guettent la liberté de la presse actuellement. Il s'agit entre autres, du nouveau projet du Code de la Presse présenté par le groupe du CPR à l'ANC destiné à remplacer le décret loi 115. A cet égard, M. Laâbidi dénonce l'aspect répressif dudit projet. « D'ailleurs, pas moins de 13 articles stipulent des peines de prison contre les journalistes et les citoyens », précise le président de l'INRIC tout en attirant l'attention sur l'article 51, où l'on risque 6 mois de prison en cas où le président de la République fait l'objet d'une diffamation, selon ce projet de loi. « C'est une grande menace pour les journalistes, les citoyens et pour la liberté d'expression », attire l'attention M. Laâbidi. Droits économiques et sociaux et violence politique Par ailleurs, Massoud Romdhani, membre du Forum Tunisien Pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) a insisté sur le fait que la transition démocratique ne peut avoir lieu sans prendre en considération les droits et les revendications économiques et sociales des Tunisiens. L'aspect politique de la Révolution ne doit en aucun cas écarter ou faire oublier le volet social. Il faut par conséquent résoudre les problèmes du chômage, de l'inégalité entre les régions et instaurer les bases de l'équité économique, politique et financière… « Il faut avoir une capacité de comprendre les revendications du peuple et arrêter de traiter de traîtres ceux qui revendiquent leurs droits économiques et sociaux », rappelle M. Romdhani. Dans le même ordre d'idées, Aâmira Alaya Sghaïer professeur et chercheur en Histoire, a parlé de la violence politique en Tunisie qui atteint son haut niveau avec l'assassinat politique. Mais il faut savoir que même « à la fin des années 50, période de l'édification de l'Etat tunisien, notre pays a vécu des événements similaires », rappelle l'historien. Sauf que ce phénomène diminue dès qu'on instaure une vraie démocratie. Malheureusement, ce n'est pas le cas en Tunisie. Le phénomène de la violence politique a pris de l'ampleur et menace même la transition démocratique. Ce sont les forces islamistes tous courants confondus qui mettent en péril la transition vers la démocratie.