En français et dans bien d'autres langues étrangères, les noms propres s'écrivent avec la majuscule. Ce type de lettre capitale n'existant pas en arabe, nos noms propres se distinguent moins facilement, du moins par la vue, des noms communs. Mais, si le problème ne se posait qu'en ces termes graphiques, nos concitoyens auraient très vite trouvé la parade, par exemple en créant des majuscules bien tunisiennes ou bien en écrivant les noms propres d'une autre couleur que le reste des mots qui les accompagnent dans un texte. Non ! Aujourd'hui (depuis le 14 janvier 2011 en fait), c'est la « propreté » des noms qui fait problème chez nous. A l'occasion de la toute dernière Fête du Travail, la polémique « nettoyeuse » reprit de plus belle entre Tareq Kahlaoui, Secrétaire d'Etat à la Présidence et Directeur Général du Centre Tunisien des Etudes Stratégiques, et certains journalistes dont vous connaissez ou devinez les noms. Et depuis, on n'en finit pas de déballer le « linge sale » de chacun ! Sur Face Book, en particulier, c'est à qui dénonce le plus de taches dans le C.V. de l'adversaire choisi. Tout cela a lieu dans une Tunisie de plus en plus « sale », dans une Tunisie où s'entassent des monticules de détritus bien particuliers, naguère cachés à notre vue. Les ordures que l'on déplore maintenant sous nos cieux ne sont pas que ménagères, et chaque jour, de nouvelles immondices s'ajoutent aux anciennes jusqu'à apparenter notre chère patrie à un vaste dépotoir politique, économique, social, culturel et moral difficile à désencrasser. Que c'est pénible à supporter pour notre amour-« propre » de patriotes ! Les bennes municipales seraient impuissantes face à ces décharges tentaculaires. Si au moins nos mairies pouvaient délivrer aux citoyens, aux partis, aux organisations et associations, des « certificats de propreté », des attestations de « bonne tenue d'hygiène » fiables et décernés sur la base d'enquêtes sérieuses et neutres. Mais pour cela, ne faudrait-il pas auparavant que les municipalités elles-mêmes soient propres, fiables, sérieuses et neutres ?! Minuscules et majuscules A propos de neutralité, l'autre soir sur le plateau de Nessnessma, le journaliste Soufiène Ben Farhat (objet, lui aussi, d'une récente « campagne de propreté » !) commentait des images vidéo sur des salafistes tunisiens qui prêchaient, micro à l'appui, la bonne parole dans un bus de transport en commun. A la fin de son intervention, il appela à la nécessité de « neutraliser » politiquement les espaces publics ! Après la neutralité des ministères régaliens et celle des mosquées, nous voilà désormais, amenés à revendiquer celle des transports en commun ! Demain, nous exigerons celle des cafés et des bars, ensuite celle des stades, puis celle des jardins publics, et celle des plages, et celle des festivals et quoi encore ! C'est à cette logique insensée que les ennemis de la vraie démocratie veulent nous attirer. A l'Université et au nom de la liberté individuelle, les salafistes endurcis tentent encore d'imposer le port du niqab dans les salles de classe. L'acquittement, jeudi dernier, de Habib Khozdoghli, le Doyen de la Faculté des Lettres et des Humanités de la Manouba et la condamnation des deux plaignantes niqabées furent perçus comme des verdicts « discriminatoires » par certains étudiants wahabites à qui le jugement a bien évidemment déplu. En ce moment, les règles du jeu démocratique ne sont pas fixées de manière nette, entendez proprement. La période de transition autorise tout le monde à concevoir la démocratie, les droits de l'homme, les libertés privées etc., chacun en fonction des conjonctures favorables ou défavorables à son camp, selon ses intérêts et ses alliances effectives ou escomptées, selon ses stratégies électorales. On se permet ainsi toutes les contradictions et l'on tombe dans les mêmes erreurs et les mêmes abus dénoncés chez le rival ou l'adversaire ! C'est pour cette raison que nous avons trouvé très « démocratique » la réplique festive et dansante opposée au prêche des deux barbus critiqués par Soufiène Ben Farhat : en effet, dans une nouvelle vidéo, on voit des passagers de bus répondre à la « provocation » salafiste par des déhanchements bien tunisiens sur les airs d'un mezoued bien de chez nous ! Sans violence, sans friction, sans mines anti-personnel, sans déploiement policier ni militaire, sans assassinats, sans intervention étrangère. Les Tunisiens modestes rêvent de beaucoup de choses, dont justement une Démocratie propre, « minuscule » s'il le faut, mais surtout propre. Parce que même dans les pays qui nous ont devancés sur cette voie, la démocratie majuscule et immaculée est toujours un rêve pieux ! Un conte de fées, si vous voulez ! « Blanche neige », par exemple !