Par Abdelhamid Gmati On dit, on redit, on ressasse que les Tunisiens dans leur diversité, leurs divergences d'opinions forment un peuple uni, homogène, partageant les mêmes valeurs. On veut bien le croire. La Révolution, à laquelle se sont ralliés tous les Tunisiens, y compris ceux qui n'y ont pas pris part, ni de près ni de loin, a dit non à la dictature et elle s'est dotée d'un certain nombre d'objectifs, théoriquement partagés par le plus grand nombre. Que veut-on ? Un pays libre, moderne, viable et fiable, où il fait bon vivre, fier de sa culture et de son identité arabo-musulmane, où les individus, égaux en droits et en devoirs, jouissent de libertés, de toutes les libertés, et où chacun peut réaliser ses ambitions et ses aspirations. Pacifiquement et en toute démocratie. On pensait que tous partageaient cette vision, cet objectif. En fait non : il y a une composante de cette société tunisienne, en réalité minoritaire, qui affiche d'autres ambitions. Pour les islamistes, la Tunisie n'est qu'une partie de leur grand rêve, celui d'instaurer un califat réunissant tous les pays musulmans, du moins les Arabes. Ils l'ont dit et redit et ils n'en démordent pas, malgré leurs explications et leurs éclaircissements, plutôt vaseux. Un califat où la charia, pure et dure, serait l'unique source de la loi. Et tandis que la masse des Tunisiens revendiquent la réalisation des objectifs de la Révolution, les islamistes au pouvoir travaillent en douce et mettent en pratique leur politique. Objectif : changer la société tunisienne ; détruire ce qui était, et imposer leurs nouveaux concepts. Cela se manifeste déjà dans la rue. Il y a quelques mois apparaissait des individus inconnus jusque-là, des êtres étrangement accoutrés, portant une barbe anormalement longue, des djellabas noires, des niqabs, des burkas. On observait cela avec curiosité, se disant que c'était des visiteurs venus d'autres contrées. Puis, petit à petit le phénomène s'est étendu. Aujourd'hui, partout en Tunisie, les femmes en hijab sont légion. Elles sont dans la rue, dans les colloques, les réunions, à la télévision, à l'Assemblée Constituante, arborant leurs voiles, cachant leurs cheveux et leurs corps. Certaines portent des jeans moulants. Femmes âgées et jeunes filles. Celles qui s'habillent normalement deviennent minoritaires. Une mode ? Diktat des parents ? Peur d'être molestées comme cela s'est fait souvent ? Peu importe, le fait est là : ce qui était exception devient habituel, banal. De plus en plus de magasins, au centre-ville, et dans la Médina, proposent des foulards, des habits, des accessoires adaptés. Il y a même une boutique spécialisée dans ces accoutrements. On y a même vu, et filmé, un élu d'Ennahdha, M. Habib Ellouze, venu probablement s'assurer de la conformité des produits. Le mal est plus pernicieux puisqu'on le retrouve auprès des toutes petites filles. Des gamines de 3, 4, 5 ans qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive et qui se trouvent affublées de hijab voire de niqab. Et dans ces écoles coraniques et autres jardins d'enfants, elles se trouvent séparées des garçons et reçoivent une éducation différente. Le ministère de la Femme et de la Famille se dit informé de cette anomalie et la réprouve. Mais que fait-il ? Il est en contact avec son homologue des Affaires religieuses. En attendant, les petites sont toujours niqabées. On pourrait aussi rappeler les nombreuses agressions dont ont été victimes des enseignantes ou de ces enseignants qui obligent leurs élèves à mettre le niqab et les incitent, même, à désobéir à leurs parents. Les salafistes, qu'on croyait marginaux et qu'on tolérait au nom des libertés, se sont installés et font la pluie et le beau temps : agressions verbales et physiques, sit-in, refus des libertés, menaces... On pourrait rappeler les agressions physiques et verbales dont ont été victimes des intellectuels, des hommes politiques, des élus à la Constituante, des personnalités, des journalistes. Ils se sont même appropriés la petite ville de Sejnane devenue «Sejnanistan» où ils font la loi, agressant les visiteurs ou les simples passants. Le tout impunément. Mieux : un de leur parti, le Front de la Réforme, vient d'obtenir un visa légal. Ce en dépit de la loi, interdisant tout parti se réclamant de la religion. Il y a quelques semaines une association était autorisée : son objectif ? Etre une sorte de police de la morale religieuse. Il ne serait pas étonnant que prochainement l'autre parti extrémiste, Hizb Ettahrir, obtienne aussi son visa. Plus il y a d'islamistes, mieux c'est. La gangrène s'étend et prend de l'ampleur. Il y a toutefois de la résistance, preuve que les Tunisiens ne sont pas dupes et refusent qu'on détruise leur société. L'une des plus récentes manifestations, celle organisée hier, par l'association « Les revenants de la Médina », au cours de laquelle un grand nombre de citoyens ont revêtu des jebbas et des sefsaris pour marcher à travers les rues de la Médina, marquant leur préférence pour l'habit traditionnel tunisien. Comme quoi, l'habit fait le moine. Et on préfère le nôtre, qui est d'ailleurs plus beau.