Les deux dernières semaines nous ont révélé chez beaucoup de Tunisiens, que l'on tenait jusque-là pour mineurs, des talents insoupçonnés de démineurs! Nous découvrîmes, en même temps, le nombre impressionnant d'experts qui ont raté leur vocation en ratissage des cachettes terroristes. Les Quartiers Généraux policiers et militaires se réunissent désormais sur les plateaux de télévision et dans la rue. Les propositions fusent alors de toutes parts en ce qui concerne la traque des jihadistes de Jebel Châambi. Parmi elles, on recommande le retour aux vieilles méthodes et le sacrifice d'animaux sur les champs de mines antipersonnel. Les bêtes qui font l'unanimité en ce moment sont les chèvres et les chevaux. Au sujet des premières, nous nous sommes très vite rappelé l'histoire de la fameuse Chèvre de Monsieur Seguin qui s'égara en montagne et ne put finalement échapper aux crocs du méchant loup. Puis, nous pensâmes à la métaphore non moins célèbre du « bouc émissaire ». Mais à la fin, nous oubliâmes tout ça et jugeâmes qu'au prix auquel se vend aujourd'hui la viande caprine chez les bouchers, aucun éleveur n'accepterait de risquer une partie de son précieux cheptel pour une fouille tâtonnante et peu concluante. D'autant plus qu'une fois les bêtes sont écrabouillées par l'explosion, personne ne garantit à leurs chevriers que la chair récupérée demeurera vendable et « halal » à la consommation ! Ah ! Si les jihadistes pouvaient les éclairer sur la question ! Triste sacrifice Pour ce qui est des chevaux, et vu la large étendue à déminer, il faudrait immoler les pensionnaires de deux ou trois haras, dans le carnage. A moins de sacrifier des haridelles moribondes qui, peut-être n'atteindraient pas vivantes les hauteurs traquées. Imaginez les chevaux devant et les hommes derrière ! Ça ne vous rappelle pas la chanson de Brassens sur le « petit cheval blanc » ! Et puis estimons-nous heureux que nos S.P.A. soient plus préoccupées de leur survie que de celle des animaux. Heureusement aussi que nous n'ayons pas proposé l'immolation des ânes ; Brigitte Bardot en aurait fait un nouveau…cheval de bataille ! On aurait pu aussi penser à importer des moutons roumains comme on l'a fait à l'occasion de l'Aïd el Kébir dernier. De la sorte, notre cheptel local d'ovins serait épargné par la boucherie anti-jihadiste. Mais l'histoire a voulu que contrairement au récit d'Abraham avec son fils Isaac, nous sacrifiions quelques uns de nos soldats et de nos gardes les plus jeunes à la place des moutons. C'est triste de le constater ! Mais l'heure, nous dit-on, n'est pas à la désignation des responsables, même si avant-hier au siège de l'A.N.C., le chef du Gouvernement était sur le sellette face notamment aux Constituants de l'Opposition pour qui Ennahdha et sa Troïka gouvernante assument une grande part de responsabilité dans la grave menace terroriste qui pèse sur le pays. Poney sous roche ! Toujours à propos de ce qui se passe à Jebel Châambi, les autorités viennent d'annoncer l'arrestation d'un nouveau membre présumé du groupe terroriste recherché. On a même donné son nom et précisé qu'il jouait au sourd lors de son interpellation. C'est bien déjà de n'avoir pas fait l'aveugle en le croisant. Cependant, qui dit que ce comédien n'était pas en train de jouer une autre farce dont nous serions tous le dindon ? Avant lui, dans l'assassinat de Chokri Belaïd, on avait arrêté trois complices qui jouèrent, eux aussi, aux sourds-muets pendant leurs interrogatoires et ne révélèrent finalement rien de sérieux aux enquêteurs. La reconstitution de ce crime suscita dès le premier jour bien des soupçons dans le camp des proches du défunt et au sein de sa famille politique qui cria alors à la mascarade. Certes, le jeune sourd qu'on a arrêté à Kasserine n'a pas encore perdu l'usage de la parole. Mais sa langue se déliera-t-elle très vite pour dénoncer le refuge de ses compagnons de jihad ? S'il daigne ouvrir la bouche face aux enquêteurs, sera-ce pour dire vrai ou pour mentir ? Ne se peut-il pas que ce suspect ne soit qu'un bouc émissaire sacrifié par ses camarades pour abuser les unités sécuritaires ? Il n'y a pas anguille, mais poney sous roche ! Pourvu qu'il ne nous mène pas en bateau, nous tous devant et lui derrière ! Comme les Moutons de Panurge, quoi ! Mais un peu à l'envers de l'anecdote rabelaisienne! Tiercé anti-amnésique Au sein de L'Union pour la Tunisie, l'ambiance ressemble un peu à la situation sécuritaire aux environs du Mont Châambi. Il y a seulement deux jours, Yassine Brahim, leader d'Al Joumhouri, marcha (délibérément, cette fois) sur une mine antipersonnel interne et la fit exploser : il déclara Ahmed Néjib Chebbi plus digne de la Présidence de la République que Béji Caïed Essebsi. Interrogé sur cette énième « bombe » entre son parti et Nida Tounès, Yassine Brahim se répandit en circonlocutions et cacha jusqu'au bout le TNT dont son explosif était chargé. Quoi qu'il en soit, notre lecture de cette sourde bataille entre les présidents du Joumhouri et du Nida, -qui déjà multiplie les boucs émissaires autour d'eux -, n'est pas aussi alarmante que l'approche qu'en font quelques confrères friands de « divorces » politiques. Nous sommes convaincus que ce prétendu « bras de fer » entre les deux vieux candidats à la Présidence du pays est une bonne chose : il rappelle à la Troïka, qui feint de l'oublier, que ses gouvernements successifs sont tous provisoires, qu'elle est appelée à organiser de nouvelles élections, qu'elle doit achever au plus vite la rédaction du Destour, qu'elle ne sera pas la super favorite du prochain scrutin et que déjà sa relève se prépare activement et très sérieusement. C'est mieux ainsi qu'au sein du Front Populaire qui, tout en se considérant comme une alternative gouvernante, ne s'embarrasse pas trop de la désignation de son ou de ses propres candidats. Il est vrai que son principal combat contre l'amnésie de la Troïka se mène sur un champ plutôt judiciaire et juridique autour de l'affaire Chokri Belaïd. De toutes les manières, il ne faut pas céder au jeu d'Ennahdha et de ses alliés qui consiste à dire : « Les élections ? Oui, allez-y en éclaireurs, je vous rejoins ! Vous tous devant et moi derrière ! ». Car il faut bien que la période transitoire prenne fin un jour, et le plus tôt sera le mieux pour nous tous ! A moins que la Troïka ne bloque exprès les stalles du départ devant les jockeys et leurs coursiers pour ajourner indéfiniment le tiercé et le Quinté+ programmés !