Par Khaled Guezmir Alors, coup d'Etat « militaire » en Egypte ou coup d'Etat « populaire » ? Les analystes comme les protagonistes sont divisés parce que tout simplement l'émergence de l'Islam politique comme structure et mode de gouvernement ne laisse plus personne indifférent. Le Président français, M. François Hollande a réussi l'exercice épineux d'interprétation pour renvoyer dos à dos tout le monde. D'un côté, il a accepté magnanimement en tant que chef d'Etat et d'une République « Laïque » par excellence d'envoyer l'ascenseur de « sauvetage » à nos islamistes assommés par la destitution de Morsi et des frères musulmans en Egypte, en déclamant solennellement, au Bardo, à l'ANC, que « l'Islam est compatible avec la démocratie » ! Mais, je ne sais pas s'il leur a dit aussi, peut-être en privé, que maintenant qu'ils sont au pouvoir en Tunisie, ils doivent le prouver…, comment…, en renvoyant tout simplement l'ascenseur à M. Hollande et aux tenants de la modernité dans ce pays et en bâtissant une vraie démocratie ! Or, jusque là, tout indique qu'il s'agit là d'un souci non prioritaire et pour cause : une transition interminable, une constitution à l'état de « brouillon », des lois infâmes sur l'exclusion politique d'adversaires crédibles, des « Ligues de protection de la révolution » plus menaçants que jamais, avec des « promesses » de violence à peine déguisées. En quelque sorte, une démocratie aux gouttes à gouttes distillée au point et à la virgule, sous la pression constante d'une opposition et d'une opinion publique excédées. Mais soyons confiants et patients, M. François Hollande aura à constater lors de sa prochaine visite d'Etat, les dégâts ou les progrès à ce sujet et nous verrons bien si l'Islam politique a été « compatible » avec la démocratie ou pas ! Je reviens à l'Egypte qui constitue en ce moment même « notre » laboratoire d'analyse du « printemps arabe » et de son évolution. Dire que le « coup d'Etat » populaire accompagné par l'armée, constitue un arrêt du processus démocratique au pays de Cléopâtre et de Ramsès II, c'est aller un peu trop vite en besogne. M. Samir Amine, professeur économiste égyptien de grande envergure, a remis à « France 24 », les pendules à l'heure en disant tout simplement : « Mais de quelle démocratie parle-t-on » ! Il ajoute : « M.Morsi, qui prend le pouvoir par la démocratie électorale, et qui la trahit en lui tournant le dos, par une opération de mainmise des « frères » sur les institutions de l'Etat républicain libéré des Moubarak… est-ce là, la démocratie… C'est tout simplement un coup d'Etat contre la légitimité de l'Etat démocratique »… Nous voilà embarqués sur deux espaces de « légitimité » avec cette question, oh combien pertinente : « Avez-vous le droit parce que vous avez été élu à la majorité, de faire ce que vous voulez du pays, de l'Etat, des institutions, du modèle culturel et social qui, en Egypte, a plus de 5000 ans, d'autant plus qu'il n'y a aucun organe de contrôle, comme dans la démocratie classique, pour vous signifier les limites à ne pas franchir ! En l'absence de contre-pouvoirs institutionnels, comme le disait vigoureusement Montesquieu ! « Seul le pouvoir arrête le pouvoir », la légitimité électorale qui s'engage dans l'abus de pouvoir est discréditée et illégitime. En Occident, les mécanismes de contrôle constitutionnels et institutionnels jouent le rôle d'amortisseurs et de canalisateurs des crises parce que gardiens d'une « contre-légitimité » capable de rectifier les tendances absolutistes des détenteurs du pouvoir (partis…, gouvernements…, milices, etc). Dans le monde arabo-musulman, ce contre-pouvoir est défaillant… Alors il ne reste que la pression de la rue surtout quand il n'y a pas de volonté politique réelle de construire l'Etat démocratique et de droit. 22 millions de personnes qui signent une pétition de destitution contre Morsi, en Egypte, et qui obligent l'armée à respecter la « volonté populaire » même de la moitié des Egyptiens, est-ce là un coup d'Etat ! Et même s'il l'était, il ne peut être que « civil » et populaire parce que en Egypte, M. Morsi et les frères ont tout fait pour s'approprier l'Etat et ses institutions et étouffer toute velléité de contrôle démocratique. Maintenant, le bras de fer n'est pas seulement entre deux élites dirigeantes, l'une islamiste et l'autre laïque, mais entre la tradition fanatisée et la modernité qui lutte pour la survie. Au bout du compte pour tout observateur impartial et raisonnable, l'Egypte ne peut sacrifier deux choses qui sont à la base de son identité profonde : Le Nil et sa culture historique. Ce sont les mamelles nourricières de l'Egypte et elles sont inséparables. Mais, jusqu'à présent, la modernisation a été protectrice de l'Histoire pharaonique en Egypte, avec laquelle elle a vécu en symbiose parfaite. Nasser comme Sadate, sont les continuateurs des Pharaons avec un Islam très modéré. Que serait l'Egypte sans les Pyramides, le Sphinx et les temples de Louksor ! C'est aux « Frères musulmans » de composer maintenant avec la modernité et la culture historique « non islamisée » de Ramsès II et ses descendants. Nous assistons là, de fait, à la mise en œuvre d'une forme nouvelle de démocratie directe semblable au Référendum qui obligera à l'avenir les dirigeants musulmans et arabes à se soumettre à la volonté populaire et à respecter les règles de la Démocratie qui les a catapultés au pouvoir. L'Egypte est encore plus belle avec toutes ses différences et son peuple ne demande qu'à vivre libre joyeux et en paix. Et dire que j'ai entendu quelqu'un qui se dit « Daïya » islamique, vociférer dans une télévision satellitaire : « Oum Kalthoum ne doit chanter que pour son mari » ! Il n'a jamais compris que l'Egypte, sans Oum Kalthoum, c'est le désert !