Les concertations intermittentes qui se poursuivent entre le pouvoir et l'opposition à la Place Mohamed Ali ou dans les salons feutrés parisiens n'ont pas finalement abouti à une solution concertée à la crise politique qui perdure depuis plus d'un mois. Les leaders du mouvement Ennahdha se succèdent sur les plateaux télévisés pour détailler leurs propositions visant à sortir de la crise semblent tergiverser au point de dire la chose et son contraire, de confirmer une déclaration apaisante lâchée par le leader du mouvement, Rached Ghannouchi, et de la démentir en l'espace de quelques heures. Dans une interview diffusée dimanche sur Nessma TV, M. Ghannouchi a précisé que son mouvement a accepté l'initiative de sortie de crise lancée par l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) qui prévoit la dissolution du gouvernement et le maintien de l'Assemblée nationale constituante. « On a accepté cette initiative et on ne s'est pas rétracté », a-t-il fait savoir, tout en indiquant que le nouveau gouvernement ne pourrait prendre ses fonctions que lorsque le pays sera préparé aux élections. « La dissolution du gouvernement aura lieu après le parachèvement de la Constitution, la mise en place d'une nouvelle instance indépendante pour les élections et la détermination de la date des prochaines élections», a-t-il ajouté. Selon le leader d'Ennahdha, la démission du gouvernement et la date des élections pourraient être annoncées dans une période de 20 jours à un mois, et même moins, si le dialogue national en décide autrement. Cette même position a été réitérée par Ameur Laârayedh, président du Bureau politique d'Ennahdha. «Lorsqu'un accord avec l'opposition aura été trouvé sur la Constitution, la loi électorale, l'instance en charge des élections, et les trois dates de la présidentielle et des législatives, alors on pourra former un gouvernement d'indépendants», a-t-il déclaré. Le lendemain, Habib Ellouze, un autre dirigeant d'Ennahdha, a exprimé ses réserves sur certains points émis par Rached Ghannouchi lors de son interview accordée à Nessma TV. M. Ellouze a déclaré que le mouvement Ennahdha n'a pas accepté la démission du gouvernement actuel et qualifié la Troïka de ligne rouge. Le député a aussi contredit le chef du parti au pouvoir en ce qui concerne le report de l'adoption de la loi sur l'immunisation de la Révolution. Manœuvres déroutantes Et last but not least, le Chef du gouvernement Ali Laâryedh a proposé, lors d'une conférence de presse la formation d'un «gouvernement d'élections» qui reprendra le flambeau après la fin des travaux de l'Assemblée constituante, prévue, selon lui, pour fin octobre ou début novembre. Retour à la case départ surtout que l'initiative prévoit la mise en place d'un gouvernement indépendant dans un délai n'excédant pas une semaine après la fin d'un dialogue national axé sur le choix d'un nouveau cabinet apolitique et la détermination d'un calendrier précis pour l'Assemblée nationale constituante (ANC). Du côté de l'opposition qui réclame encore et toujours la démission de l'actuel gouvernement avant le lancement d'un dialogue national, on dénonce des «manœuvres déroutantes» de la part d'Ennahdha. «L'autre partie, surtout Ennahdha, n'a pas répondu sérieusement aux demandes ayant trait à la dissolution du gouvernement et à la formation d'un gouvernement composé d'indépendants», a indiqué Nida Tounes dans un communiqué publié hier. L'UGTT s'est aussi déclarée «préoccupée» par la position du Chef du gouvernement. «Le refus de la démission du gouvernement est une position inacceptable qui constitue une fuite en avant », a indiqué le secrétaire général adjoint de l'UGTT chargé de l'information, Sami Tahri. Et d'ajouter: «autant nous sommes satisfaits de l'adhésion d'un grand nombre de partis à l'initiative de l'UGTT, autant nous nous inquiétons de l'absence d'une position claire et ferme de la part du mouvement Ennahdha en ce qui concerne la démission du gouvernement en place ». L'UGTT exige désormais la détermination d'un calendrier et d'une feuille de route claire pour les concertations semble s'impatienter. « Nous sommes à bout de patience. Il est impératif de ne pas laisser les choses trainer et la crise s'éterniser», a précisé Sami Tahri, tout en signalant que la centrale syndicale va user de « moyens de pression » pour accélérer l'adoption d'un plan de sortie de crise. Nouvelles propositions En attendant de nouvelles concessions et des positions plus claires de la part des différents protagonistes de la crise, des personnalités politiques continuent à lancer de nouvelles initiatives dans l'espoir de rapprocher les points de vue entre le pouvoir et l'opposition. Ainsi, le président de la haute instance politique du Parti républicain (Al Joumhouri), Ahmed Néjib Chebbi, a indiqué avoir présenté au cours d'une rencontre avec le président du mouvement Ennahdha une initiative de sortie de crise en trois points. Cette initiative suggère, premièrement, que le mouvement Ennahdha accepte d'engager des négociations avec les forces politiques en vue de constituer un gouvernement de compétences sous la présidence d'une personnalité nationale indépendante. En second lieu, M. Chebbi souhaite que ces négociations s'intègrent dans le cadre de l'initiative de l'UGTT. Troisièmement, le leader politique qui a été l'un des artisans du comité du 18 octobre pour les droits et les libertés, une coalition d'opposition formée en 2005 par des islamistes et des progressistes pour faire pression sur l'ancien régime, estimé que les négociations ne devraient pas dépasser pas une semaine prorogeable une seule fois. Selon M. Chebbi, Rached Ghannouchi, aurait été favorable aux deux premiers points, mais aurait émis des réserves concernant le troisième point, préférant remplacer l'expression «une semaine» par celle «dans les plus brefs délais». Le courant «Al-Mahabba» (L'amour) a appelé, quant à lui, dans un communiqué publié hier, à l'organisation d'élections législatives anticipées sur la base de la loi électorale de 2011. Selon les observateurs, les tergiversations de la classe politique qui risquent de prolonger indéfiniment les concertations sur un plan de sortie de crise ne profitent à aucune partie. Elles ne profitent surtout pas à l'économie tunisienne qui subit de plein fouet les contrecoups d'un manque de visibilité total. Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Chedly Ayari, vient d'ailleurs de reconnaître que «la situation économique du pays est difficile et vacillante à plus d'un titre », sans pour autant aller jusqu'à confirmer les analyses alarmistes estimant que le pays est au bord du gouffre.