Le blocage politique consécutif à la crise qui a éclaté après l'assassinat du coordinateur du Mouvement Populaire Mohamed Brahmi se poursuit. Le mouvement islamiste Ennahdha qui dirige le gouvernement et l'opposition continuent à se livrer à des démonstrations de force par manifestations interposées. Une coalition hétéroclite d'opposition rassemblant aussi bien des formations de droite que des partis d'extrême gauche a organisé dans la nuit de lundi à mardi un nouveau rassemblement nocturne au Bardo comme tous les soirs depuis le meurtre, le 25 juillet, de Mohamed Brahmi. Ils n'étaient toutefois que quelques centaines à se réunir, contre des milliers la semaine dernière. Regroupés au sein du «Front de salut », les opposants ont également organisé, hier, une grande manifestation pour réclamer la démission du gouvernement dirigé par les islamistes d'Ennahdha et la dissolution de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Ce rassemblement s'est tenu symboliquement six mois jour pour jour après l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd, le 6 février dernier. Il répondait aussi à une manifestation de dizaines de milliers de partisans du gouvernement samedi dernier. Plusieurs syndicats rattachés à l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT). Ennahdha a, quant à elle, choisi de suspendre provisoirement le sit-in nocturne qu'organisent ses sympathisants devant l'ANC depuis plus d'une semaine. Le parti islamiste s'était livré samedi dernier à une démonstration de force sur la place de la Kasbah, à Tunis. Hantés par le « syndrome égyptien », plusieurs dizaines de milliers de personnes de sympathisants d'Ennahdha ont lancé des slogans appelant au respect à la légitimité des urnes et fustigeant un complot ourdi par la contre-révolution. Recours à un référendum Le leader du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, a évoqué, dans un entretien publié lundi par le quotidien belge « Le Soir » la possibilité d'organiser un référendum pour sortir de la crise que traverse le pays. «C'est un fait qu'il y a désormais deux voies en Tunisie. Nous en sommes aux 100 derniers mètres du processus transitoire et nous refusons de tout recommencer à zéro. Les deux camps ne peuvent plus continuer à faire appel à la rue. Nous réfléchissons à l'idée d'un référendum comme solution alternative à la crise», a-t-il déclaré. Et d'ajouter : «les Tunisiens se prononceraient à savoir s'ils veulent ou non poursuivre le processus enclenché ». Le 29 juillet, le Premier ministre Ali Laârayedh avait déjà évoqué un tel scénario. «Nous n'en avons pas appelé à la rue par souci de l'intérêt public mais s'il le faut nous demanderons son choix au peuple par référendum», avait-il déclaré. Rached Ghannouchi assure être favorable à un «gouvernement élargi». Interrogé sur l'éventuelle entrée de membres de Nidaa Tounes, ennemi juré de la Troïka au pouvoir,, le leader d'Ennahda assure que « tout est sur la table, tout est possible». Il déclare aussi que « le plus probable» est qu'Ennahda ne présentera pas de candidat à la présidentielle. «Si nous ne présentons pas de candidat, le plus logique est qu'on ne soutiendra personne pour être à égale distance de tous les prétendants », ajoute-t-il. Des initiatives à en revendre Aux yeux des experts et de la majeure partie de l'opposition, l'organisation d'un référendum sur la poursuite ou non du processus transitoire est une option à écarter en raison notamment de la perte de temps et d'argent qu'elle implique. Alors que certains partis d'opposition s'opposent à tout dialogue avec Ennahdha, de nombreux partis et des personnalités nationales ont lancé ces derniers jours des initiatives visant à trouver une issue négociée à la profonde crise politique. Ainsi, l'Alliance démocratique a lancé une initiative prévoyant notamment la démission immédiate du gouvernement, la mise en place d'un gouvernement d'union nationale avec le plus large consensus possible et l'engagement légal des différentes parties pour que l'ANC achève ses travaux dans un délai maximum au 23 octobre 2013. Quatre autres partis, dont le Mouvement du Peuple et le Parti du Travail Tunisien, ont de leur côté lancé une initiative qui prévoit la constitution d'un gouvernement de compétences et la détermination d'un agenda précis pour l'ANC. Des personnalités politiques et anciens responsables, dont l'ancien bâtonnier et ex-ministre Mohamed Kilani, le militant des droits de l'Homme et juge Mokhtar Yahyaoui et l'ancien diplomate Taoufik Ouannès, ont lancé une autre initiative qui souligne l'attachement aux institutions de l'Etat tunisien et l'impératif pour la Constituante de poursuivre ses travaux à un rythme plus rapide. Cette initiative appelle aussi à composer, d'une façon consensuelle, un gouvernement chargé de gérer les affaires du pays jusqu'au parachèvement de la période transitoire avec l'approbation de la nouvelle Constitution et la tenue des élections générales. A chacun ses lignes rouges… Pour sa part, l'UGTT a réclamé le départ du gouvernement sans appeler à la dissolution de l'Assemblée nationale constituante, adoptant ainsi une position médiane. La centrale syndicale s'est dite également favorable à une évaluation indépendante du texte de la constitution avant son approbation par l'ANC et à la dissolution immédiate des Ligues de protection de la révolution (LPR) qui sont, selon elle, impliqués dans des actes de violence politique. Ces diverses initiatives n'ont pas contribué à rapprocher les points de vue entre Ennahdha et l'opposition. Le parti islamiste a fait savoir que l'Assemblée constituante et le Premier ministre sont des lignes rouges, tout en se déclarant prêt à débattre du reste des revendications de l'opposition. Bien que certains d'entre eux aient accepté le principe du maintien de l'ANC, les détracteurs du gouvernement déclarent, quant à eux, que la dissolution du gouvernement d'Ali Laâryedh est une condition sine qua non au lancement d'un dialogue avec Ennahdha et à la levée du « sit-in du départ »organisé par l'opposition au Bardo. Face à ces deux positions inconciliables, l'UGTT pourrait être contrainte à trancher. C'est du moins ce que laisse croire les récentes déclarations du secrétaire général adjoint de l'organisation, Sami Tahri. «L'UGTT a donné une occasion à tous les partis politiques afin qu'ils fassent des concessions, mais elle est à bout de patience », a averti ce responsable syndical, indiquant que la centrale syndicale dispose de plus d'une corde dans son sac pour sauver le pays…