Mourad, Najeh, Mohamed, Khaled, Wissem, Hamadi, Abdeljawad…des jeunes tunisiens originaires d'El Amra, une petite localité à vocation agricole, située à une trentaine de kilomètre de la ville de Sfax. Agés entre 20 et 40 ans, ils étaient tous des émigrés en Italie. Si quelques-uns y ont travaillé depuis des années, d'autres ont profité de la révolution qui a eu lieu un 14 janvier 2011 pour s'y rendre de manière irrégulière. Leur rêve commun était d'améliorer leur condition de vie, d'autant plus que la zone d'où ils sont originaires est carrément démunie. El Amra a toujours été oubliée par les autorités au pouvoir, aussi bien le régime déchu que les gouvernements provisoires. La localité fait partie des zones d'ombre, où le taux de chômage est très élevé ce qui pousse ses jeunes à la fuir pour réaliser leur rêve dans d'autres pays. Mais le rêve s'est transformé avec la crise économique qui touche plusieurs pays européens dont, l'Italie, en un vrai cauchemar. Ils se sont heurtés à une réalité dramatique qui les a poussés à opter pour une autre solution pas très confortable également : le retour volontaire avec le soutien de la coopération suisse. La lenteur des procédures administratives, et les promesses non tenues par rapport au lancement des microprojets prévus dans ce cadre, donnent envie aux jeunes de la localité d'émigrer de nouveau de manière irrégulière. « Nous n'avons pas d'autres choix. Y en a marre d'attendre les promesses jusque là non tenues de l'OIM et de la Coopération Suisse » déclarent les interviewés en Tunisie depuis plus d'un an. Offre En fait, charmés par l'offre qu'a accordée la Suisse aux Tunisiens ayant émigré après le 14 janvier 2011 et qui se retrouvaient en situation irrégulière, presque 800 jeunes ont choisi de vivre l'expérience avec un espoir de lancer un micro projet dans leur ville natale pour y vivre dignement. Tout ce qu'ils avaient à faire, c'était de signer un papier où ils expriment qu'ils sont d'accord pour rentrer en Tunisie. En contrepartie, ils avaient droit à un billet d'avion et une petite somme d'argent. Une fois chez eux, ils devaient bénéficier de trois mille francs suisses, soit l'équivalent de huit mille dinars tunisiens pour lancer le micro projet. Ce n'est pas tout. La coopération a séduit les jeunes tunisiens par une autre offre alléchante. Elle leur a accordé, au début, la possibilité de lancer des projets communautaires ce qui a les poussés à faire des propositions dans ce sens. Nombreux sont ceux d'ailleurs, qui ont décidé de revenir au pays d'origine pour échapper à la misère dans laquelle ils vivaient surtout en Italie. Les chiffres annoncés par l'OIM, partenaire du projet précisent que 800 personnes ont signé des contrats dans ce sens. L'information a circulé de bouche à oreille surtout entre les jeunes de la ville d'El Amra et de Jbenyana ce qui a fait que « presque la moitié des demandes proviennent de ces deux villes », précise Hichem Roueg, représentant de l'OIM à Sfax qui a du mal à satisfaire rapidement les demandes en la matière. « Cela dépend de plusieurs facteurs. Il faut que l'idée du projet soit réalisable et rentable. Un business plan doit par ailleurs être présenté à la commission chargée de l'évaluation du projet, ce qui n'est pas le cas pour plusieurs », tenait à expliquer le représentant de l'OIM. Procédures lourdes Ce n'est pas tout. Les demandeurs de financement doivent indispensablement poursuivre une formation auprès de l'Agence Nationale pour l'Emploi et le Travail Indépendant (ANETI). « Cela nous fait perdre du temps ni plus ni moins », s'exclame Wissem qui n'arrive pas jusqu'à aujourd'hui à convaincre la commission de son projet. « Ils nous imposent plusieurs formalités administratives et exigent des paperasses rien que pour nous démotiver », ajoute-t-il. Même les plus tenaces commencent à désespérer. Ils pensent carrément à repartir de nouveau vers l'Italie de manière irrégulière. « Nous avons été piégés par les Suisses qui ont renoncé à leurs promesses », témoigne Khaled à qui on a refusé son projet communautaire. « J'ai proposé de lancer avec d'autres partenaires un projet d'élevage de cheptel ovin, mais vainement », se désole le jeune qui se retrouve sans emploi. De son côté Mourad, âgé de 33 ans père de deux enfants, se retrouve presque dans la même situation. « Cela fait presqu'un an que j'attends. J'ai dû enchaîner les va et vient entre ma ville natale et Sfax, voire la capitale pour avoir l'accord final de la commission », affirme le jeune. « Et là j'attends toujours le versement d'argent pour démarrer le projet », enchaîne-t-il. Des mois se sont écoulés depuis que les jeunes sont rentrés chez eux. Mais entretemps, ils se retrouvent sans sources de revenu ni emploi, ce qui a provoqué des problèmes familiaux. La Coopération Suisse qui a promis aux jeunes une aide financière ne tient pas sa promesse, cela passe au vu et au su du gouvernement provisoire lequel garde le silence sur ces pratiques. Il se désengage carrément pour ne pas résoudre la question et proposer des solutions à une jeunesse qui ne sait plus que faire.