On a pourtant raillé cette étude américaine qui depuis avril 2013 a laissé entendre que le Tunisien est schizophrène de par un comportement tiraillé entre modernité et conservatisme. L'enquête réalisée par le Pew Research, un institut de sondage, et dont le titre est « Les musulmans du monde : religion, politique et société » montre que le Tunisien s'attache aux valeurs morales et religieuses mais en même temps très en fait avec la modernité. Et là encore les concepts se brouillent. Et le Tunisien Lambda ne saura définir ce que c'est que la modernité et son opposé le conservatisme. Le Tunisien qu'on a informé de l'avènement d'une Révolution dans son pays ignore toujours ce qui fait une Nation, ce que signifie être libre et responsable et a tout autant une définition approximative de la démocratie. Une dite révolution qui ne se suit pas d'un mouvement intellectuel révolutionnaire comme c'est le cas des révolutions occidentales diront les sages de ces temps « n'est en fait que le défoulement d'une société qui se retrouve du jour au lendemain libérée du joug de l'autoritarisme qui y sévissait » Cela est d'autant plus vrai dans tous les pays ayant vécu le dit « printemps arabe » qui n'est au final qu'un hiver glacial, rude et rigoureux. Schizophrénie phénomène observé depuis longtemps La question en fait n'est pas nouvelle car depuis 2003/ 2004 des médecins spécialistes tunisiens se sont penchés sur la question et ont montré que la schizophrénie demeure « le cancer des troubles mentaux ». L'étude a établi un rapprochement entre l'évolution économique d'un pays et l'aggravement du pronostic de la schizophrénie. « L'exemple de la Tunisie montre paradoxalement que le pronostic de la schizophrénie s'aggrave avec le niveau de développement d'une société... Le rôle du développement économique dans l'apparition de formes graves de schizophrénie ouvre des perspectives prometteuses de recherche et de prévention. » lit-on, parmi les résultats de cette étude publiée sur le site électronique ‘'EM-consulte''. Parmi les aspects de cette schizophrénie ambiante nous observerons le comportement langagier du Tunisien qui d'un côté critique les écarts langagiers de ses compatriotes et d'un autre se permet de faire entorse aux règles de bienséance et de balancer des insultes et de gros mots avec la grâce d'un crachat. Les règles de la bienséance sont reléguées aux catacombes du langage. Ameur Jridi linguiste et sociologue qui explique les maux sociaux de la Tunisie depuis deux ans et demi n'en revient pas « Cet aspect de notre discours a pris de l'ampleur sous l'effet de la chute brusque de la tête du régime et auquel se sont substitués des ‘successeurs' ébahis par le pouvoir, avec lesquels l'injustice et la pauvreté n'ont fait qu'empirer. Cet état de fait a été conjugué à la liberté acquise, mais exercée sans scrupules ni vergogne. Par presque tout le monde ! » dit-il en continuant « Le départ impromptu du dictateur a cassé ‘l'équilibre' psychosocial qui prévalait et a libéré les sentiments et les vieilles rancunes de certains. Les langues se sont ‘'déliées'' car elles étaient déjà prêtes aux écarts du langage qui, à son tour, révèle les intentions des uns et des autres ». Pour l'universitaire il s'agit bel et bien d'un phénomène social qui mérite qu'on s'y attarde et qu'on observe pour trouver les moyens de le combattre « C'est, en fait, un phénomène social de taille, vu l'importance de la communication entre les gens où le langage parlé (et écrit) reste sa base et son cadre de référence. Dans notre usage quotidien du langage, il y a une part de violence, d'agressivité, de fébrilité » Débordements langagiers Ce pénible florilège de mots inconvenables n'est en fait que le sommet de l'iceberg. L'appauvrissement du langage n'est que l'aspect extérieur d'un malaise intérieur qui caractérise le Tunisien, de son âme vide de l'intérieur : dé-spiritualisée... et ce malgré l'entrée en force de différentes obédiences salafistes. Des dits salafistes qui au final, ne gardent de la conduite des prédécesseurs musulmans des premiers temps que le nom dont ils s'affablent. Un seul exemple suffirait en fait pour juger un phénomène pour le moins désolant : c'est ce jeune homme à qui on a commis la maladresse de lui tendre le micro d'une chaîne de télévision et qui ne s'est pas fait prier pour commenter dans ce qui peut être traduit par « Je n'ai rien à cacher, j'ai 25 ans et je suis dans le ‘'domaine'' depuis dix ans. Je suis salafiste djihaddiste, un adepte de Ben Laden. » Le jeune homme ne croit pas si bien dire car le « domaine » dont il parle est bien loin de l'Islam et de l'essence sublime des valeurs qui élèvent le fidèle. Les attentats-suicides de ces derniers jours nous ont certainement interpellé quant à notre dure réalité de Tunisiens : ces jeunes tunisiens Kamikaze qu'on observe dans le miroir déformant de notre société schizophrène et qu'on dit être le reflet de la ‘'bêtise humaine'' ne sont-ils pas en fait le résultat d'un système éducatif défaillant et d'un environnement social dégradant ? Un environnement déséquilibré n'est-il pas le fief de tout comportement extrême d'une jeunesse dépitée de désespoir qu'on délaisse et qu'on montre, par la suite, du doigt? La Tunisie malade des temps modernes, commencera par définir sa modernité en dehors des clichés occidentaux qui coulent dans des moules préfabriqués tout ce qui a trait à l'Islam mais aussi loin de la conception des commerçants de la foi qui feront de l'Islam un objet de marchandage et de surenchères religieuses. Difficile équation à résoudre mais sans laquelle la Tunisie ne saura guérir de ses maux et restera à la traîne. Car aujourd'hui c'est carrément marche ou crève.