Pour quelqu'un qui revient en Tunisie après un séjour de quelques mois à l'étranger, le paysage urbain qui s'offre à lui a de quoi le surprendre et, même, de quoi le déboussoler. Et ce à tous les niveaux du vécu quotidien et, notamment, au plan des signes extérieurs de la foi. La multiplication des femmes et des jeunes filles portant le hijab ne peut que retenir son attention. Du jour au lendemain, cette façon de se couvrir la tête et le visage s'est répandue à une vitesse Grand V. L'élément féminin rivalise à qui mieux mieux pour opérer le meilleur choix, le choix le plus élégant, dans les différentes variétés proposées dans le commerce. Le phénomène ne touche pas seulement les quartiers populaires de la capitale où le niveau peu élevé de l'éducation est censé prédisposer la femme à se coiffer de la sorte. Il touche – et c'est cela qui est le plus surprenant – les quartiers huppés où l'on assiste à un spectacle paradoxal: des femmes vêtues et coiffées à la manière islamiste utilisant dans leur discours la langue de Voltaire alors que, selon les convictions qui les habitent, elles devraient utiliser la langue arabe, qu'elle soit de facture classique ou qu'elle relève du registre dialectal. Après tout, quand on porte en soi la foi musulmane, il est recommandé de recourir à l'arabe, la langue du Coran, autrement, on verserait dans une schizophrénie qui peut porter atteinte à une perception correcte de notre identité et même à son émiettement. L'observation vaut encore plus pour celles qui embrassent la vision salafiste, c'est-à-dire un mode de vie proche de celui qui prévalait au temps du Prophète, encore que les ulémas divergent au sujet du fameux «niqab» qui ne laisse transparaître que la lumière des yeux. Combiné au qamis, à la coiffe et à la barbe ultra fournie des salafistes hommes, le niqab a vraiment de quoi éberluer les tenants d'une foi islamique sereine et tolérante, telle qu'elle a été pratiquée depuis des siècles, loin de toute surenchères extrémistes. Et la chose est d'autant plus surprenante que les responsables du parti Nahdha ont modéré leurs prétentions, désireux d'offrir à ceux qui s'opposent à leurs thèses, un visage apaisant et serein. Ils on fait du chemin depuis leurs incendiaires discours d'il y a deux décennies. Ils ont même présenté leurs excuses à propos des douloureux dérapages de l'époque, dérapages auxquels a largement contribué le président déchu. Celui-ci ne leur avait-il pas souri de son sourire le plus engageant pour, ensuite, les piéger et les réprimer de la façon la plus féroce et la plus cynique.
Le paramètre femme Il semble donc que les Nahdhaouis aient écarté de leur démarche les outrances langagières et les véhémences idéologiques. Il est inconcevable – ou du moins nous le souhaitons – que l'adepte de cette façon d'interpréter la foi, soit choqué le matin quand, à l'heure de partir au travail, il tombe nez-à-nez, sur le palier de l'immeuble, avec une jeune dame accorte, portant pantalon jean, le visage mis en évidence par un quelconque maquillage. Il ne détourne plus le regard devant un rire où les élégantes silhouettes féminines déambulent, parées de leur féminité. Et d'ailleurs, une radio comme la Zitouna n'avait-elle pas contribué à propager les germes d'une foi accueillante, une foi qui invite les citoyens à vivre leur foi comme ils l'entendent. Cela, il nous faut le reconnaître à ce média en dehors de toute considération concernant des relations avec un groupe sulfureux qui avait mis le pays en coupe réglée. De nouvelles relations sociales sont nées du fait de l'amélioration du niveau éducatif de la femme et de sa volonté de jouer un rôle plus grand dans le monde du travail dans le cadre d'un combat incessant en vue d'instaurer une égalité des droits et des devoirs.
L'ombre d'une cabale Les Nahdhaouis semblent s'être éloignés aussi d'un Wahabisme dont ils se rendent compte qu'il ne peut prospérer sur cette terre de dialogue et de modernité. Ils sont catégoriques quant à leur respect total de ce qu'implique le Code du statut personnel comme outil incontournable de la promotion de la femme et de la famille. Ils adhèrent, disent-ils, au concept de la parité et de l'alternance sur les listes électorales. Ainsi, serrer la main d'une femme n'est plus considéré comme un geste pestiféré. Comme il n'est plus question de mesurer la longueur de la barbe pour qu'elle soit conforme à l'orthodoxie en la matière. Quand, par aventure, on fait mine de ne pas les croire, ils sont scandalisés, outrés. Et affirment qu'ils sont l'objet d'une cabale destinée à les discréditer auprès de l'opinion publique tunisienne et leur couper l'herbe sous les pieds dans la perspective des prochaines échéances électorales. Mais il reste quand même quelques zones d'ombre dont l'attitude du parti à l'égard du pacte républicain. Ils sont très réservés quant à ce texte qui devrait servir, selon toute probabilité, de préambule à la nouvelle Constitution. Un préambule qui mettrait en évidence les grandes valeurs humaines auxquelles doit s'adosser la Constitution et qui serait signé par tous les partis sans pour avoir pour autant un aspect contraignant, mais plutôt un aspect moral. Il en est de même de la séparation Etat-religion, refusant un laïcisme qu'ils considèrent trempé dans une sauce du diable et donc un sujet de mécréance et un motif d'impiété. Ils refusent obstinément, mais sans qu'ils le déclarent clairement, la thèse des tenants du laïcisme (qui sont pour la plupart, au demeurant, de bons musulmans) selon laquelle la foi confère un sens à l'existence mais ne saurait s'occuper de la chose publique. Et à ce propos, ils se plaisent à citer la Turquie d'Erdogan. Et c'est peut-être là la meilleure voie qu'ils sauraient prôner.