Les universitaires, chercheurs, politistes et historiens de systèmes sociaux vont avoir de la matière pour les deux siècles présent et à venir pour faire comprendre ou du moins essayer, la différence entre « Daëch » et « Jabhat Ennosra », entre « Al Qaïda » et « l'Etat califal » de l'Irak et du Levant, bref, entre les extrêmes de l'Islam politique et de l'Islam orthodoxe politisé ! Mais, toutes les thèses ne suffiront pas à déchiffrer ces énigmes. Pour le moment la seule certitude c'est que là où les combattants de ces fractions se déploient, c'est la guerre totale où les conventions de Genève sur les comportements humains en temps de conflits armés, ne sont ni opérationnelles ni référentielles. C'est un peu le retour de l'humanité sous nos yeux à l'âge de la pierre, ou tout au plus, au Moyen-âge. Dans ces conditions parler de « démocratie » c'est comme parler aztèque à un Chinois ! Toutes les normes démocratiques classiques et les valeurs qui les soutendent à commencer par la sacralité de la vie humaine, de l'individu et des groupes pour arriver au changement politique par les élections et la non violence sont caduques. Ce que nos maîtres appelaient « l'Etat de Droit » devient tout simplement le « non droit » pour pareilles situations. A titre d'exemple, de quel « droit » parlons nous, quand des terroristes égorgent nos soldats et que des voix certainement bienveillantes, mais totalement dépassées pour l'horreur de la situation et les promoteurs de ces crimes, leur réclament une fois arrêtés par la police ou l'armée des procès « équitables » ! Quelle « équité » pour ceux qui ne croient pas à l'équité et aux lois elles-mêmes comme régisseurs de l'ordre social et la paix civile. Certes, on peut toujours dire que, ce n'est pas parce que « l'autre » se comporte avec une certaine bestialité, que la société et surtout l'Etat doivent devenir cannibales à leur tour. Mais, à toute époque, ses analystes et ses doctrinaires. Le monde arabo-musulman vit en partie aujourd'hui l'équivalent du 16ème et 17ème siècles en Occident avec toutes les fractures nées de la résistance de l'église catholique conservatrice aux assauts du réformisme protestant et de la modernité. La « Renaissance » a coûté bien cher aux peuples d'Europe et le repli de la religion par rapport à l'Etat ne s'est pas passé comme une promenade sur les quais de la Seine ou du Danube. Beaucoup de sang a coulé, beaucoup de violences et de tortures physiques et morales ont habité le continent, Europe, avant l'avènement du contrat social et les doctrines des lumières qui constituent aujourd'hui, le socle de la manière de vivre et d'être des occidentaux. Ce que nous désignons, nous, par « Renaissance » ou « Nahdha » du 19ème siècle avec les Tahtaoui, Kheïreddine, Mohamed Abdou, Salem Bouhajeb ou Beyram V, une synthèse entre les écoles polytechniques et militaires en Tunisie et d'Egypte, et la Zitouna et El Azhar, n'aura été finalement qu'un balbutiement dans cette quête de la modernité arabe et musulmane. Pourtant la « modernisation » a été portée par les régimes politiques qui ont pris le relai de la colonisation occidentale et véhiculée par le Baâth en Syrie et en Iraq par le nassérisme en Egypte et le bourguibisme destourien, en Tunisie. Mais, ce qui n'a pas suivi, c'est que l'Islam de la Nahdha (je précise bien celle du 19ème siècle) n'a pas enfanté une sorte de pensée et de pratique « protestante » islamique. Pire encore, les élites islamistes politisées ressentaient une certaine frustration parce que reléguées par l'Etat de la modernisation à une certaine sous-hiérarchie dévalorisée et déclassée. Le fameux mouvement étudiant zeitounien « Saoutou Attaleb » (La voix de l'étudiant) qui a éclaté avec l'indépendance, exprimait cette grande frustration, d'où sa répression musclée par le nouveau système de la modernisation. Par conséquent, depuis le 16ème siècle à peu près, le monde arabo-musulman, y compris la Tunisie a vécu une série de « déficits » majeurs au niveau de la pensée et de la pratique politique. Alors que la monarchie de droit divin a commencé a vacillé en Europe à partir de 1215 en Grande-Bretagne, pour arriver à pleine maturité, en 1689 avec le « Bill of rights » (charte des droits), et alors que la séparation effective enter l'Eglise et l'Etat a été consacrée par l'apport fondamental du protestantisme, le monde arabo musulman, n'est jamais parvenu à enfanter ou même à adopter les théories du contrat social avec cette évolution de Hobbes à John Locke puis Rousseau et Montesquieu. L'accumulation des déficits a été telle que même la modernité s'est avérée fragile et vulnérable aux premières nostalgies de retour à la tradition et à l'orthodoxie religieuse pure et dure. De nos jours la lutte implacable que se livrent l'Islam conservateur à l'extrême et la modernité qui a essayé de combler les déficits précités pour atteindre les normes de l'évolution démocratique et civile universelle, n'est qu'à ses débuts ! Mieux encore la tentation de combiner la « modernité » du Baâth et le conservatisme de « Daëch » en Irak, annonce une évolution spécifique d'une nouvelle approche qui risque d'éloigner toute cette région et pour longtemps des normes-références qu'on désigne par le modèle démocratique civil et pluraliste, occidental. Ce petit parcours dans les méandres de l'Histoire comparée des systèmes d'Occident et d'Orient, peut nous donner une idée des difficultés structurelles énormes qui font encore que Richard (Rudyard) Kipling a encore raison de dire : « L'Est c'est l'Est... l'Ouest c'est l'Ouest et ils ne se rencontreront jamais ! ». Ramadan Mabrouk à vous toutes et à tous !