Depuis quelques jours, les « mots d'ordre » et les slogans appelant au boycottage de produits, de personnalités, de chaînes télévisées, des élections, de certains organismes nationaux ou étrangers etc. reprennent du service dans le jargon des citoyens ordinaires ou des militants de la société civile et des partis politiques. Cela a commencé même avant le mois de juin lorsque les facebookers avaient appelé à bouder une interview avec le Président Marzouki sur une chaîne de télévision tunisienne privée ; à la même occasion, le même public d'internautes a fait campagne pour boycotter et la chaîne citée et l'animateur de l'émission qui n'est autre que le trop controversé Samir El Wafi. Aujourd'hui, les appels au boycott concernent surtout Israël et les pays qui soutiennent sa politique et ses exactions militaires contre Gaza. Ainsi, le président François Hollande se trouve-t-il au centre d'un mouvement de protestation quasi général parmi les sympathisants tunisiens de la cause palestinienne dont une partie s'est mise à exiger le boycott des festivités du 14 juillet que compte organiser l'ambassade française en Tunisie. Répondant en masse à une suggestion de Soufiène Ben Farhat, des amis journalistes, juristes, enseignants presque tous engagés politiquement ont très rapidement relayé le message sur face book ou sur d'autres réseaux et médias. Pour la gouverne de ceux qui ignorent encore la raison de ce mouvement « spontané », nous rappelons la position de la présidence française face aux récentes agressions israéliennes contre les civils palestiniens de Gaza : elle condamne fermement, non pas le massacre provoqué par ces attaques (près d'une centaine de morts jusqu'à hier vendredi) mais les tirs de roquettes en provenance de Gaza sur une ou deux villes juives (pour la plupart sans dégâts et plutôt interceptés dans le ciel). Scénario incontournable Un scénario pareil est désormais habituel parmi les populations arabes qui se rappellent le boycott d'Israël et de ses alliés uniquement à l'occasion d'un « génocide » contre les Palestiniens. C'est comme les manifestations de défoulement où l'on voit le drapeau israélien brûlé et déchiqueté par un groupe de personnes furieuses; ou bien comme la résurrection soudaine des poèmes de Nizar Qabani et de Mahmoud Darwiche ou des chansons « engagées » de Marcel Khalifa ; après quoi le calme se réinstalle partout, dans les rues, comme dans les cœurs, avec le sentiment d'avoir accompli un devoir ponctuel et d'être en règle avec sa bonne cause nationaliste arabe. En fait, une joute véritable s'organise entre citoyens ou entre organisations, partis ou même entre Etats pour crier son indignation plus fort que le voisin, pour appeler à des mesures plus fortes contre l'ennemi sioniste, pour exprimer une solidarité plus effective avec les victimes de ce dernier. Au final, on se retrouve avec un concert de « revendications » plus radicales les unes que les autres ; mais au niveau des actes, et mis à part les sorties symboliques dans les rues arabes, on se contente d'en appeler « à la communauté internationale pour qu'elle intervienne » ! Ce que Slim Riahi n'a pas manqué de faire ainsi que tous les autres dirigeants des partis politiques tunisiens rentrés eux aussi dans leurs fiefs la conscience tranquille après avoir, le temps d'une protestation bruyante, « soutenu » les Palestiniens contre leurs usurpateurs. Retrouvailles On appelle aussi en ce moment à boycotter les prochaines élections : Hizb Ettahrir de Ridha Belhaj est le premier sur la sellette. Il paraît que tout dernièrement Mehdi Jomâa lui a adressé un « carton jaune » à ce sujet sans que l'avertissement fasse trembler son destinataire. D'autres s'en prennent à l'ISIE et à son président Chafiq Sarsar, tous deux accablés de soupçons et de médisances apparemment justifiés, du moins en partie ! Et l'Organisation de Défense du Consommateur pendant ce temps mène campagne contre les marchands de dattes : ses dirigeants appellent les citoyens à boycotter la « degla » si son prix excède la barre des 7dinars 800 millimes. Sacrée ODC qui s'inquiète pour les consommateurs tunisiens amateurs de dattes bien de chez eux en ce mois du jeûne ! Car pour notre chère organisation (qui effectivement coûte son prix au contribuable puisque la majeure partie de ses finances proviennent des subventions versées par l'Etat), des dattes à 8dinars le kilo, cela reste un prix « abordable » pour le consommateur moyen! L'ODC est manifestement revenue à ses réflexes du temps de Ben Ali, organisation « fantôme », simple épouvantail pour faire croire que les Tunisiens ont des défenseurs contre les spéculateurs « rapaces » qui s'enrichissent à leurs dépens. Il y a moins de trois ans, nous avons été plus d'une fois convoqués par les ex-responsables de l'ODC, lesquels « souffraient le martyr » à cause de l'abandon dont ils firent les frais de la part de l'Etat et du Gouvernement ; ils nous juraient alors de faire peau neuve et de militer pour leur indépendance vis-à-vis du pouvoir et des promoteurs capitalistes. Nous n'y avons pas beaucoup cru, en ce serment, et en effet les voilà qui nous donnent raison : l'ODC reste ce qu'elle était, manipulable et malléable à souhait par le pouvoir en place et par les puissants du commerce et de l'industrie. C'est plutôt l'ODC qu'il faudrait boycotter à tout jamais ; si ce n'est déjà fait par les consommateurs avertis ! Onéreux délices Ah ! Nous allions oublier un autre appel « délirant » au boycott : il y a plus de quinze jours, de nombreux statuts de facebookers commentaient avec virulence et beaucoup d'ironie, les prix exorbitants pratiqués par un café « touristique » de la banlieue nord. Une campagne farouche fut donc menée contre l'établissement allant jusqu'à afficher des tarifs irréalistes de ses services. Il faut dire que le mouvement qui a récolté un succès large et foudroyant fut plus efficace que la campagne de l'ODC contre les dattes. Preuve que le consommateur tunisien a appris à se prémunir tout seul contre les vampires commerçants. Toujours est-il que dans le cas du café visé par le boycott, les familiers de la banlieue nord savent bien que depuis belle lurette ses prix sont excessifs comparés à tous ceux proposés dans les alentours ; de plus, la clientèle de ce café ne vient pas vraiment pour siroter un thé aux pignons ou un café turc préparé à l'ancienne sur la terrasse qui, du reste, offre un panorama de rêve au visiteur, mais très souvent les familiers de l'endroit y passent des après-midi et veillées entières en couples, en groupes d'amis ou en famille, en ne consommant qu'une seule fois. Si le propriétaire du café proposait des tarifs réduits, il ne rentrerait sans doute pas dans ses frais. Et puis, cela se passe comme dans les espaces chics du monde entier : le client n'y paie pas seulement sa consommation, mais la beauté du site, le luxe du local, le prestige du quartier environnant, le panorama etc. Dans la plupart des grandes villes occidentales, vous ne payez pas le même tarif pour un café servi sur le comptoir, en salle ou sur la terrasse ! Alors de grâce, lâchez ce café et laissez ses clients consentants à leurs ...délices !