Cette fin de semaine n'est pas du tout repos. D'une orthodoxie navrante, elle fut marquée d'une vague de manifestations régionale et qui a touché plusieur gouvernorats en Tunisie. Plus d'une année depuis que le fléau du siècle a touché tragiquement la Tunisie, la facture s'alourdit. L'absence de fermeté même dans les discours officiels et le reports de l'adoption du projet de la loi de lutte contre le terrorisme frustrent les peuple, qui est sorti en nombre hier hier matin et vendredi soir. Les manifestations de la colère étaient disparates et ont eu lieu simultanément dans plusieurs régions. Ce qui a donné le tournis à certains et dispersé la foule. Au Bardo, le rituel devenu sourd Le temps avait l'air figé. A la place de Bardo, face au siège de l'ANC, les gens étaient venus par centaines le vendredi soir. Le rendez-vous était donné, comme c'est, désormais, de coutume, devant le portail de Bab Saâdoun. A peine une heure après la rupture du jeûne, un dispositif policier était placé auprès du monument pour assurer le bon déroulement de la marche. Comme le veut «la tradition», les manifestants commençaient à envahir la Place de Bab Saadoun. A pieds ou en voitures, ils brandissaient fièrement le drapeau national. Aux portraits des martyrs tués, il y a presque un an, se sont ajoutés ceux des 15 soldats assassinés le 16 juillet 2014 au Mont Chaâmbi, le Mont de la mort. Tout donnait l'impression d'un déjà vu. Les slogans scandés, les chants fredonnés dénonçaient fermement le terrorisme et critiquaient de manière acerbe la réaction de l'Etat.Une foule humaine enragée, consternée et endeuillée avançait dans une sorte de marche funéraire. L'ambiance était lugubre, triste et dolente. La foule sillonnait l'Avenue 20 mars menant à la Place de Bardo. La majorité des personnes interrogées se sont dit choquées et en colère contre la réaction des officiels, qu'elles jugent molles, irresponsables et laxistes. «On est dans un cercle vicieux. On a l'impression que ce gouvernement et celui d'avant ne cherchent vraiment pas à éradiquer le terrorisme du pays et courent à la perte de l'Etat !», s'est confiée une des manifestants en rajoutant : «Nous vivons dans un véritable cauchemar qui se répète ! Nous nous trouvons dans la même situation que l'an dernier ! S'il y a un an, nous étions interloqués par l'assassinat politique de Feu Brahmi et du meurtre atroce, deux jours plus tard, de 8 de nos soldats ; survenus, comme c'est le cas cette année, dans un mois saint, cette fois, nous sommes ahuris par l'incapacité de nos responsables politiques. Il faut une stratégie ferme et efficace qui réduise à néant tout le mont Chaâmbi ! On n'en veut plus ! Qu'il soit incendié et rasé de fonds en comble !» Un des manifestants, un sexagénaire était hors de lui : «On nous a sortis il y a deux ans ces fameux mensonges et ces répliques devenues désormais «célèbres» : «Il n'y a pas de terroristes au Mont, il s'agit de sportifs qui font des footings, ou encore «Ce ne sont pas des terroristes, ils ne présentent aucun danger, ce sont nos enfants et ils annoncent une nouvelle culture !». Quelques temps plus tard, on a compris tous de quelle culture il s'agit, celle du terrorisme, de la haine, du carnage et du sang au cœur même d'un mois sacré ! Et la facture est trop salée. Nous payons tous les jours de nos enfants, les plus jeunes, les plus vaillants et les plus prudes ! Je pointe du doigt l'Etat avec toutes ses composantes pour leur incompétence qui va nous coûter encore plus cher si ce bain de sang ne s'arrête pas !» Un jeune salafiste, barbu et portant une djellaba est venu spécialement nous voir : «Je sors de la mosquée. J'ai préféré rejoindre la marche et interrompre mes prières. Je suis salafiste, je ne le cache pas. Je suis là pour manifester avec mes compatriotes contre le terrorisme. Une maladie qui entache nos coutumes, notre religion et met en danger notre avenir. Jamais la religion musulmane n'a incité à la tuerie. Surtout pas des actes barbares, qui plus est, se font au sein du Ramadan ! Je condamne ces assassinats et je prie le gouvernement à se montrer plus intransigeant et plus ferme. Sinon, ces personnes qui se disent défenseurs de l'Islam, et croyez-moi, ils sont loin de l'être, feront encore pire. Je vois comment ça se passe dans les coulisses. Comment les jeunes sont influencés, recrutés et pris dans le piège. Le lavage de cerveau qu'ils subissent ne leur permet plus d'avoir du bon sens. C'est malheureux. On ne doit pas se laisser faire !» A la Place de Bardo, tout le monde avait l'impression de revivre le même cauchemar que celui de l'année dernière. Le choix des dates et des attaques n'est plus un pur hasard. Car ces assassins qui attaquent lâchement aux soldats au moment même de rompre leur jeûne, n'attaquent pas aléatoirement. Les deux coups donnés simultanément ne sont que le malheureux indice. Ils sont bien entraînés, organisés et armés jusqu'aux dents ». On avait l'impression d'être au sit-in du Bardo, Ramadan 2013. Les mêmes slogans, les mêmes protestations et même les visages, sont devenus familiers. A la différence près, cette année, l'ambiance était plus morose. Les présents avaient cet air abattu et désespéré. Entre ces attaques qui violent le futur de la patrie, menace les espoirs d'une démocratie naissante et ébranlent le quotidien et un gouvernement qu'ils jugent «mou» et «incompétent», ils sont impuissants et hautement frustrés de ne pouvoir rien faire qu'occuper la rue et mettre la pression sur les décideurs pour bouger. Mais n'a-t-on pas dit : les mots usés deviennent malheureusement sourds ? Si l'ambiance nocturne au Bardo était lugubre et amère, celle qui a enveloppé la manifestation d'hier était hautement politisée. La marche à laquelle ont appelé la classe politique, l'UGTT et plusieurs associations nationales, s'est déroule dans la matinée du samedi sous un soleil de plomb. Le slogan dominant était l'appel à l'union nationale. Contrairement à la manifestation du Bardo, celle qui s'est déroulée au centre ville a connu plusieurs tensions et altercations entre les sympathisants du Front populaire et ceux de l'UGTT qui ont protesté contre la présence de plusieurs leaders du parti islamiste Ennahdha à l'instar de Fathi Ayadi et Adelkarim Harouni. Pourtant, pour veiller au bon déroulement de la manifestation et pour véhiculer le principe de l'union nationale, le Quartet a insisté sur le recours à des slogans qui appellent à cette union contre le terrorisme. Or, plusieurs manifestants ont levé des slogans dénonçant le leader du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, le qualifiant de « terroriste et de tueur ». Son parti a été, notamment, accusé d'alimenter et d'encourager au terrorisme. La tension était telle que les forces de l'ordre ont été obligées, à un certain moment, de séparer les sympathisants du parti Ennahdha du reste des manifestants, afin d'éviter les accrochages physiques. Des sympathisants d'Ennahdha s'en sont par ailleurs pris à Kamel Morjane. Des images qui illustrent une réalité pathétique et qui n'augurent rien de bon. Les voix qui crient à l'union nationale pour éradiquer le terrorisme, en étaient terriblement désappointées et dépitées.