Le jour où l'Association Nationale des Jeunes Journalistes Tunisiens tenait sa conférence sur « le rôle des médias dans la lutte contre le terrorisme », le Ministère de l'Intérieur annonçait l'arrestation de cinq groupes terroristes qui préparaient des opérations et des attentats contre de hauts responsables de la sécurité, des hommes politiques de l'opposition, des journalistes et des civils. Les cellules découvertes agissaient principalement dans diverses délégations et quartiers de l'Ariana, et également à Cherarda dans le gouvernorat de Kairouan. Les coups de filet de cette envergure sont toujours souhaités et nos forces policières l'ont compris. Ils multiplient leurs assauts contre les repères des terroristes et de leurs complices. La traque des jihadistes embusqués sur les hauteurs frontalières se double d'efforts soutenus pour dénicher ce qu'on appelle les cellules dormantes implantées en milieu urbain. La piovra terroriste n'épargne plus une seule parcelle du pays, aussi petite soit-elle, sans y installer ses antennes et ses activistes. C'est dans ce contexte peu rassurant mais qui engage la responsabilité de tous dans le « sauvetage » de la Tunisie, que les jeunes journalistes s'interrogent sur le rôle qu'ils doivent assumer dans la guerre anti-terroriste ! Les nouveaux moustiques Leur conférence consacrée à ce dossier nous a remis en mémoire les innombrables articles de presse consacrés du temps de Bourguiba et de Ben Ali à la lutte contre les moustiques. Chaque été, et parfois dès le mois d'avril, les journaux publiaient quasi quotidiennement des papiers sur la prolifération de ces insectes et sur les moyens adéquats pour l'endiguer. Certains confrères n'abordaient presque pas d'autres sujets que celui des moustiques ; ils s'étaient spécialisés dans les « chroniques moustiquaires ». L'occasion était bonne pour déplorer l'incurie des autorités municipales et du ministère de la Santé ou bien pour fustiger la légèreté incivique des citoyens. Quand ils ne portaient pas sur les moustiques, leurs marronniers étaient consacrés aux mouches, aux cafards et aux rats. Sinon, ils étaient scandalisés par l'invasion des chats et des chiens errants. Aujourd'hui, alors que la menace terroriste pèse sérieusement sur l'ensemble du pays et de la région du Maghreb, il serait anachronique, voire ridicule, d'écrire sur les nuées de moustiques ou sur les meutes de chiens. A moins de s'y prendre allégoriquement ! La situation se prête idéalement au rapprochement métaphorique de ce genre : le pays est en pleine campagne de désinsectisation et de dératisation. Il lutte par tous les moyens contre des « bestioles » humaines qui nuisent à son confort, à sa sécurité et à sa survie. Le journaliste « engagé » est appelé désormais à participer régulièrement et avec un maximum de courage à l'éradication des « rats », des « cafards » et des « insectes » qui défigurent et infestent notre espace vital. La plume traîtresse sera celle qui cherchera à justifier le pullulement de ces éléments pollueurs et destructeurs ou bien à minimiser le danger qu'ils représentent. C'est que le milieu journalistique, comme tant d'autres du reste, est lui-même infesté de « rats », de « cafards », de « moustiques » capables de tous les ravages. Complicité active Ces deux dernières années, nous avons lu plusieurs articles dont les auteurs cherchaient de différentes manières à nier ou à édulcorer le danger jihadiste sous nos latitudes ; dans plusieurs émissions de radio ou de télévision, les animateurs faisaient tout pour orienter les interventions de leurs invités vers une position plutôt légère à l'encontre du terrorisme islamiste. Nous pouvons citer plus d'un nom de « confrère » (??) qui s'adonnait à ce jeu suspect visant à détourner l'intérêt des citoyens et des autorités vers des cibles fictives ou erronées. On se rappelle comment certains journaux et certains sites électroniques s'étaient mobilisés, après l'attentat contre Chokri Belaïd, puis après l'assassinat de Mohamed Brahmi, pour brouiller les pistes menant vers les vrais coupables dans ces deux crimes. Concernant les camps d'entraînements terroristes, nombreuses étaient là encore les plumes qui niaient leur existence et leur dispersion sur l'ensemble du territoire. On criait alors à la « psychose » injustifiée et montée de toutes pièces. Or, nous voilà aujourd'hui face à la Vérité amère et indéniable : de Bizerte à Ben Guerdane, la Tunisie ressemble à un morceau de gruyère troué de partout par les rats du jihadisme intégriste, de la contrebande et des trafics illicites en tous genres ! On nous apprend presque chaque jour la découverte d'une ou de plusieurs « cellules » terroristes, l'arrestation de complices présumés ou avérés des jihadistes, la mise en examen d'un dangereux élément extrémiste. Est-il encore permis, dès lors, de continuer à nier les évidences ? Quelques uns parmi nos journalistes d'hier et d'aujourd'hui osent le faire, invoquant les droits de l'Homme et certaines libertés fondamentales pour blanchir leurs « clients » ; certaines télévisions et radios se montrent trop « prudentes » en relayant les communiqués « victorieux » du ministère de l'Intérieur ou de la Défense ; les consultants de ces chaînes et les soi-disant experts qu'elles invitent font des lectures très évasives, sinon indéfendables, de la situation sécuritaire en Tunisie et sur ses frontières. L'honneur du métier Bref, le secteur journalistique est aujourd'hui confronté à deux types de dangers terroristes : celui qui sévit à l'extérieur, et celui qu'il couve en son sein ! La toute dernière réaction des instances syndicales de la profession après l'émission diffusée sur Nessma, les sanctions infligées par la HAICA à cette chaîne et à Hannibal TV pour un programme tout aussi controversé, la tenue de la conférence sur le journalisme et le terrorisme, tout cela témoigne de la haute vigilance que le secteur s'impose en cette période de grand flou autour des principaux acteurs responsables de la déstabilisation de la Tunisie et du monde arabe en général. Cependant, force est de reconnaître que dans cette guerre à deux fronts, les tentations sont multiples : à l'heure où les journalistes sont sous-payés, où plus d'une maison de presse traverse sa grande crise financière, où les chaînes de radio et de télévision déplorent des budgets précaires, les « bailleurs de fonds » du terrorisme et de la grande criminalité internationale peuvent aisément faire saliver les personnes et les établissements en difficulté et ce, bien évidemment, en contrepartie de services médiatiques précis. Pour nos journalistes, l'heure est donc celle de la grande épreuve du patriotisme, de l'intégrité et de la solidité morale. Puissent ces derniers la réussir sans encombres, l'honneur de la profession est en jeu !