Voilà, entre nous et le cap il n'y a plus qu'une ligne droite. La longue péninsule d'Aupouri. Un vrai plaisir d'y conduire alors que le soleil nous baigne dans une lumière orange ondoyante amplifiée par les blés de chaque côté de la route. Pas âme qui vive à l'horizon, il n'y a que nous, le silence, la route et quelques vaches qui paissent tranquillement. La nuit est vite tombée et nous nous arrêtons enfin dans un camping au bord de la route. Levée à l'aube, je n'ai qu'une seule idée en tête, qu'une seule volonté : terminer le chemin entamé il y a déjà trois jours. Une demi-heure plus tard nous arrivons à Cape Reinga. Hormis un tout petit phare au bout de la péninsule il n'y a rien. Le lieu est intact. Le respect des Néo-Zélandais pour la nature et pour leur environnement est impressionnant. Il se transmet rapidement au visiteur qui ose tout juste emprunter les sentiers battus. Ici, au bout du pays, la perspective est magnifique, depuis cette petite crête on peut voir sur la gauche des montagnes de sable fin que les vagues viennent redessiner sans cesse ; et à droite, des criques rocheuses et escarpées hors d'atteinte. A la beauté du lieu vient s'ajouter celle des légendes maories. J'ai été profondément habitée par la façon que cette civilisation a choisie pour décrire le monde qui l'entoure. Chaque croyance de cette culture orale est embrassée par une beauté éternelle. Cape Reinga en incarne la plus spirituelle. Appelé aussi Te Rerenga Wairua, signifiant « le lieu du grand saut de départ des esprits » en Maori, ce lieu est considéré comme la dernière étape des âmes des morts avant de rejoindre l'Au-delà. Mais c'est aussi là, dans le prolongement de cette péninsule, que la mer Tasman rencontre l'Océan Pacifique créant une fracture singulière en plein milieu des eaux profondes. Depuis l'esplanade du phare on peut voir les eaux se mélanger dans un duel émouvant, laissant flotter sur un axe longiligne une mousse blanche comme une marque de perpétuité. Dans ce tableau, les Maoris voient la rencontre entre Te Moana-a-Rehua, et Te Tai-o-Whitirea symbolisant chacun respectivement la mer mâle et la mer femelle unies pour créer ensemble la vie et la cohésion. Pure et belle, l'évidence de cette description m'a beaucoup touchée. Regarder la nature comme unique force créatrice et en faire un modèle de vie ne m'avaient jamais paru plus censé. Soudain la sagesse des légendes maories surpassa dans mon estime celle de tout autre texte sacré. Leyla Katarina CHERIF