L'année dernière, à pareille époque de la fin de l'été, les foules de manifestants qui participaient au sit-in du Bardo nourrissaient beaucoup d'espoirs quant au soutien numérique considérable que les étudiants pouvaient apporter au Front du Salut dans son opposition au gouvernement de la Troïka. Mais amère fut la déception de la plupart d'entre eux; les étudiants de l'UGET choisirent dès les premiers jours de la rentrée universitaire de se consacrer à la satisfaction des revendications spécifiquement estudiantines (logement, bourses, inscription en mastère, régime des études LMD, etc.). Rares étaient ceux qui rallièrent les partis politiques frondeurs. L'organisation islamiste UGTE, quant à elle, s'engagea timidement dans la défense d'Ennahdha et de ses alliés. D'une manière générale, le plus gros de la masse estudiantine faussa compagnie aux formations politiques coalisées contre ou pour la Troïka. Cette année, la rentrée scolaire (collèges et lycées) s'annonce apparemment très chaude ; mais qu'en sera-t-il de la rentrée universitaire ? Au secondaire, le syndicat menace de boycotter la reprise des cours, et le risque existe que la rentrée des élèves soit effectivement perturbée. Au Supérieur, la donne est nettement plus floue : car d'ordinaire, le retour effectif et massif des étudiants à leurs établissements universitaires respectifs n'a lieu que début octobre sinon vers le 15 du même mois. Si la « tradition retardataire » se maintient cette année, la véritable rentrée universitaire sera certainement ajournée (par les étudiants, bien évidemment) pour la première semaine de novembre. Semestre blanc ? En effet, quatre dates importantes sont à prendre en compte au mois d'octobre : le congé de l'aïd el kébir prévu pour la fin de la première semaine, celui de la Fête de l'Evacuation (le 15), celui du Nouvel an de l'Hégire qui coïncide avec la dernière semaine du mois juste avant les élections législatives qui se tiendront le 26. Ces rendez-vous successifs empêcheront à coup sûr l'année universitaire de démarrer dans les délais relativement habituels. Or, comme les programmes d'études et les examens sont semestriels dans la plupart des facultés et des instituts supérieurs, on voit mal comment les enseignants pourraient en un mois et demi (novembre et la première quinzaine de décembre) préparer leurs disciples aux épreuves du premier semestre. Il est donc clair que même sans grève, ni menace de grève, la reprise des cours à l'Université s'annonce difficile et problématique. Comment se sortira-t-on de l'imbroglio ? Les syndicats des enseignants et des étudiants auront-il le temps et les moyens de réunir les conditions d'une rentrée « normale » à des dates « raisonnables ». Nous pensons que ce sera vraiment difficile à cause des congés et du contexte préélectoral et électoral. Pourvu que la rallonge consentie aux vacances d'été (celles-ci durent en fait jusqu'au deuxième mois de l'automne !!) n'atteigne pas la date des élections présidentielles et les vacances d'hiver ! Autrement, il vaut mieux décréter « semestre blanc » la première moitié de l'année universitaire 2014-2015 ! Unis ou éparpillés ? Qu'en est-il maintenant du poids des étudiants aux deux rendez-vous électoraux d'octobre et de novembre ? A notre connaissance, la composante majoritaire au sein de l'UGET est très proche du Front Populaire sinon franchement acquise à cette coalition (au Parti des Ouvriers et au Watad plus particulièrement); tandis que l'UGTE est massivement nahdhaouie ! Est-ce à dire que lors du vote, les voix estudiantines seront réparties entre El Jabha et Ennahdha ? Rien ne garantit que ce soit le cas, du moins en ce qui concerne les électeurs UGETistes, moins disciplinés que ceux de l'organisation islamiste rivale. D'autre part, une partie non négligeable des étudiants de la gauche radicale a rallié le nouveau parti de Nejib Dziri, L'Union des Jeunes Démocrates Tunisiens, opposée à Hamma Hammami à leurs yeux, révisionniste et même traître à la cause communiste et socialiste ; Que faut-il en déduire ? Les voix de la gauche estudiantine s'éparpilleraient-elles à l'instar des voix de leurs aînés au sein des partis politiques de la Gauche démocratique il y a un an unie sous la même bannière du Front du Salut ? Personne n'a par ailleurs de certitude quant au taux de participation attendu parmi les électeurs étudiants : qui sait si la majorité d'entre eux ne choisira pas de s'abstenir comme le craignent la plupart des observateurs locaux et étrangers ? Encore une fois donc, la carte des étudiants ne sera pas facile à jouer dans les batailles politiques. Surtout en parlant de ce qui s'appelle la gauche ! Ennahdha, par contre a plus de chances de grignoter plus de voix parmi sa jeunesse estudiantine. Mais gare aux calculs trop optimistes : l'UGTE compte désormais dans ses rangs de plus en plus de militants radicaux qui estiment que le parti de Rached Ghannouchi a fait et fait encore trop de concessions à ses détracteurs et aux puissances occidentales ; opteront-ils alors pour un vote sanction ? C'est ce que nous verrons aux mois d'octobre et de novembre prochains !