«Si Dieu n'existe pas, tout est permis », cette phrase de Dostoïevski nous fait penser aux accidents de la route enregistrés ces derniers jours et qui furent particulièrement meurtriers. Le plus souvent, les causes en sont l'excès de vitesse, le non-respect des signalisations et des règles de conduite les plus élémentaires. Avant-hier, lundi, cinq personnes ont péri et dix-neuf autres étaient plus ou moins gravement blessés dans un accident aux environs de Kairouan. Auparavant, il y eut des morts sur la plupart des routes et autoroutes tunisiennes. Du temps de Bourguiba et de Ben Ali, la Tunisie était classée en tête des pays où il se produit le plus d'accidents de la route. Qu'en est-il maintenant alors que les efforts sécuritaires sont concentrés sur la lutte anti-terroriste, principalement sur nos frontières. Le contrôle s'étant relativement relâché sur les routes, beaucoup d'automobilistes se croient tout permis : « quand le chat n'est pas là, la souris danse » ; oui, mais cela se termine parfois par une danse macabre. L'autre jour nous avons suivi un spot de la prévention routière où l'on raconte en dessins animés et en bulles, comment un père est sorti acheter à son enfant son cadeau d'anniversaire et que, suite à un accident (la tragédie est tout juste suggérée), il n'est plus rentré à la maison. C'était simple, bref, émouvant, pudique, poétique même ! Trop littéraire, à notre goût ! Et donc, peut-être pas assez efficace ! Que proposer à la place : on a déjà essayé de montrer des images effroyables de voitures complètement défoncées, de flaques de sang tout autour, de familles endeuillées, d'enfants mutilés ou condamnés à l'orphelinat. Rien n'y fait : les Tunisiens continuent d'être trop légers sur la route et de se prendre pour des champions de Formule 1. Nous avons même des doutes sérieux sur la formation qui leur est dispensée dans les auto-écoles et sur la manière avec laquelle ils obtiennent leurs permis de conduire. Nous sommes par ailleurs persuadés que les sanctions infligées aux conducteurs turbulents ne sont pas suffisamment dissuasives et que, comme c'est toujours le cas, la possibilité existe encore pour nombre d'entre eux d'agir dans l'impunité totale ! Depuis le temps que ça dure, des décennies entières, personne parmi les décideurs n'a vraiment osé crever l'abcès et proposer les remèdes adéquats au fléau des accidents mortels de la route en Tunisie! Qui sait ! Peut-être que les morts de la circulation font vivre et engraisser certains charognards qui se moquent éperdument de tous les « codes de conduite » ! Suspicion et méfiance justifiées En politique aussi, on se permet tout dès lors que le contrôle faiblit : les groupes terroristes et leurs acolytes contrebandiers, trafiquants et délinquants ne pouvaient pas mieux profiter des « révolutions arabes » et du grabuge qu'elles ont causé, pour s'adonner à leurs prospères activités subversives et illicites. En ce qui concerne les prochaines élections, on commence déjà à craindre la corruption des électeurs et le trucage des résultats du vote. Malgré le nombre impressionnant d'observateurs tunisiens et étrangers qui sont annoncés et qui suivront attentivement le déroulement du scrutin, malgré l'engagement répété des responsables de l'ISIE à prendre toutes les mesures en vue d'élections transparentes et démocratiques, malgré l'étroite surveillance que les différents partis et candidats engagés dans le processus électoral comptent imposer autour des agents de l'ISIE et autour des candidats rivaux, la suspicion persiste. Pour justifier un tel excès de méfiance, l'on vous dit que l'expérience d'octobre 2011 a montré combien il était difficile d'abord de prouver les fraudes, ensuite d'obtenir gain de cause si celles-ci sont avérées. En sera-t-il de même en 2014 ? Ira-t-on par exemple jusqu'à invalider certains résultats ou bien jusqu'à les annuler tous à cause d'une manœuvre frauduleuse ? Ira-t-on jusqu'à décider la tenue de nouvelles élections ? Et quelles sanctions prévoit-on contre les fraudeurs ? Mais déjà qu'a-t-on décidé contre les partis et candidats qui ne sont pas en règle sur le plan de leurs finances ? Qu'a-t-on prévu à l'encontre des candidats qui n'ont pas remboursé l'argent de l'Etat versé dans leurs comptes respectifs avant les élections de 2011 ? Apparemment pas grand-chose, et c'est ce qui accroît les craintes des plus sceptiques d'entre nous ! La police des polices ! Manifestement, le problème qui se pose aussi bien à l'échelle politique qu'au niveau de la prévention routière, n'a pas seulement trait aux textes et aux institutions censés sévir contre les abus et les infractions. C'est une question de moralité : la pratique de la triche est de plus en plus banalisée jusqu'à devenir un droit et un motif de fierté pour certains. Ils sont désormais rares, très rares, à s'en offusquer ! On fraude sur la route comme dans les bureaux de vote, à l'école comme sur le lieu de travail, avec des proches comme avec des étrangers. Dès que la « police » institutionnelle est absente ou moins vigilante, on s'autorise tous les dépassements ! Qu'on ne nous dise surtout pas que cela se produit même dans les pays les plus développés : c'est le pire des arguments qu'on puisse avancer pour justifier l'incivisme, l'immoralité et l'irresponsabilité ! La meilleure des polices est celle que nous avons en nous-mêmes : c'est ce sens moral, cette police des polices, qui freine nos pulsions égoïstes et nous impose de nous conformer aux règles civilisées de la vie en communauté ! Qui parmi nos politiques et nos automobilistes obéit aux ordres de cette police intérieure avant de craindre la police de l'Etat? Pas beaucoup, mais ce sont ceux-là que nous devons prendre en exemple, et non pas les « voyous » de la chose publique et de la circulation !