Le Ministre des Finances, Hakim Ben Hammouda, a récemment déclaré, sur le plateau d'une radio privée, que l'Etat tunisien risque de voir sa crise financière s'aggraver et d'être incapable d'honorer ses engagements intérieurs et extérieurs (salaires des fonctionnaires, dettes etc.) si l'Assemblée Nationale Constituante ne fait pas voter cinq projets de loi. A l'en croire, la Tunisie serait privée d'une aide de 700 milliards (promise par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International) si ces textes n'étaient pas adoptés le plus tôt possible ! Ce n'est pas la première fois que les fonctionnaires tunisiens sont menacés dans leurs traitements. Depuis la « révolution », on ne cesse de les en avertir surtout avec les gouvernements de la Troïka : mais par la suite, et comme par enchantement, la Trésorerie générale trouve de quoi les payer ! Un ou deux mois après, rebelote ! Nouveau risque d'incapacité à payer et nouveau miracle salvateur. Et pourtant le gouvernement actuel fait tout pour stabiliser les finances de l'Etat surtout avec la loi de finances complémentaire. Il y a quand même lieu de se demander ce que le Tunisien peut faire si le « drame » se produit effectivement, comme c'est arrivé dans divers pays du monde à cause d'une cessation de paiement ou d'un retard dans le versement des salaires ! Et puis que prévoit l'Etat lui-même pour ce scénario ? Jusqu'à nouvel ordre, on préfère ne pas y penser ; ou alors chaque nouveau gouvernement provisoire tente d'éviter le pire en colmatant les brèches avec des emprunts ou avec des fonds grignotés par-ci par-là dans le budget de l'Etat. Ce sera encore plus dur donc pour le gouvernement durable qui sortira des prochaines élections : Hakim Ben Hammouda était clair : les caisses de l'Etat sont presque vides en ce moment ; qu'en sera-t-il en janvier 2015 ? D'où viendrait l'argent susceptible de dépanner ces caisses ? On sollicitera sans doute une énième fois en trois ans l'aide de la Banque Mondiale et du FMI ainsi que la générosité des pays « frères et amis » ! Mais ce sera à quel prix ! Car ce qui reste comme sacrifices et concessions à faire touche quelque chose d'essentiel : la souveraineté nationale ! Nos politiques ont beau dire que c'est une « ligne rouge » à ne pas franchir, elle nous semble déjà entamée ; à tout le moins bien plus menacée que les salaires des fonctionnaires ! Carpe diem ! S'il est très pénible pour les Tunisiens de vivre sans salaires, ou avec une moitié de salaire pendant quelques mois de crise nationale ; en est-il de même si on leur demande de se passer du mouton de l'Aïd ? Ces derniers jours, on propose effectivement de renoncer au sacrifice rituel afin de préserver les finances de l'Etat et les budgets familiaux ! Une fatwa est nécessaire dans ce sens et la rumeur court que le mufti de Tunisie étudie sérieusement la « salutaire » suggestion ! En vérité, et quelque élevé que soit le prix du mouton de l'Aïd, nous avons constaté que nos compatriotes trouvent toujours le moyen de se l'acheter : ils s'endettent, grignotent dans les économies du ménage, sacrifient des dépenses plus urgentes, vendent quelques biens de valeur etc. pourvu que la tradition soit respectée ! D'autre part, et comme ils ont déjà renoncé à la consommation journalière de la viande ovine (de toutes les viandes rouges en fait) à cause de sa cherté sur le marché, ils se disent qu'une fois n'est pas coutume et que donc il est de leur droit le plus légitime de s'offrir un bon méchoui de côtelettes à l'Aïd el kébir. Carpe diem, c'est un principe de vie chez la plupart des Tunisiens lesquels n'aiment pas beaucoup penser à demain ! Pour eux, le sacrifice du mouton de l'Aïd fait justement partie des plaisirs de l'instant présent, à ne jamais sacrifier, sous peine de commettre un impardonnable sacrilège ! En attendant la prime ! Parmi les dépenses essentielles que le Tunisien moyen sacrifie allègrement au profit de ses plaisirs de fêtard-né, on trouve celles de l'école : pour la prochaine rentrée par exemple, on achète le strict minimum et au prix le plus bas ! Les parents vous disent que chez les libraires, les fournitures scolaires coûtent le double de celles vendues sur les étals des trottoirs ! Ils évaluent eux-mêmes les besoins de leurs enfants et admettent difficilement que les enseignants de ces derniers aient le droit d'en exiger davantage ! Sinon, ils n'achètent pratiquement rien et font attendre leurs enfants et les enseignants jusqu'à la fin du mois, jusqu'au versement d'une prime, jusqu'à obtenir un crédit, ou une avance ! Bref, pour de tels adeptes invétérés de la procrastination, la rentrée des classes commence réellement le 30 septembre, ou à la mi-octobre ; en tout cas jamais à la date officielle ! C'est ce qui explique que dans beaucoup d'établissements du secondaire en particulier, les cours commencent avec une moitié des élèves qui sont absents ou sans fournitures ! En effet, pendant près d'un mois, les premières leçons sont prises sur des feuilles de brouillon, ou sur des cahiers de l'année précédente. Les élèves se présentent sans cartables et avec un seul et unique stylo dans l'une des poches du pantalon ou de la chemise. Il y en a même qui viennent en classe sans rien, et leurs parents le savent pertinemment ! Eux aussi sont en train d'attendre le versement d'une quelconque indemnité pour acheter le nécessaire de la rentrée ! Les études, ça peut attendre ! Et puis, avec les nouveaux systèmes, il y a toujours moyen de réussir ses examens sans trop dépenser et sans trop se dépenser ! Pourquoi donc ...gaspiller !!!