Deux arguments sont mis en avant ces derniers jours par les partis en course pour les prochaines élections : la participation féminine et l'option jeunesse. Statistiques à l'appui, ceux-ci font tout pour paraître ouverts, opposés à la discrimination contre la femme, tournés vers l'avenir et surtout « jeunes ». La moyenne d'âge des candidats est désormais un critère bien plus important que leurs programmes. Malheur à celui qui laisse voir des ridules ou des poils blancs ; malheur encore à celui dont la vieillesse est trop visible ; On ne parle plus de l'âge avancé comme signe de lucidité, de sagesse et de mesure ; ni de la jeunesse comme indice de frivolité, de fougue incontrôlée et de versatilité ! C'est à peine si la répartition de ces valeurs n'étaient pas inversées pour présenter les seniors comme des écervelés turbulents et les juniors comme des modèles de bon sens et de discernement ! Au reste, certains concurrents à la Présidence n'ont guère ménagé leurs adversaires nettement plus âgés qu'eux et ont raillé outrageusement et indécemment la prétendue sénilité de ces derniers. Béji Caïed Essebsi vient en tête des victimes de leurs sarcasmes : ses 89 ans sont portés comme une tare déformante, comme une maladie honteuse, aux yeux de ses adversaires ! On lui trouve des traits de bourru, de cacochyme têtu et l'on raille ses discours « ringards » ! Rached Ghannouchi ne s'en prend pas ouvertement à Bajbouj sur ce point, mais en justifiant son refus de se présenter à la présidentielle, il dit qu'il préfère céder la place aux plus jeunes ! Ses collaborateurs sont bien moins allusifs que lui : avant-hier, sur un plateau de Nessma, Imed Hammami s'est allègrement gaussé de la « sénilité » de ‘‘Si Béji''. En vérité, même les « amis » de celui-ci reviennent fréquemment sur l'âge du nonagénaire: Omar S'habou et Tahar Ben Hassine lui en font presque le reproche dans quelques unes de leurs déclarations. Ici et ailleurs ! Pourtant, à en juger d'après nombre de ses dernières prises de positions, Béji Caïed Essebsi fait preuve de grande maturité. Certes il se plaît parfois à jouer au patriarche quelque peu tyrannique, mais il dégage à maintes reprises une jeunesse et une ouverture d'esprit que les juniors qui l'entourent n'ont pas, encore moins ses adversaires ! Ce n'est pas une campagne que nous menons en faveur de Bajbouj et du Nida ! Mais nous avons l'impression que les menées contre la personne de Béji Caïd Essebsi constituent une insulte inadmissible, immorale, à l'adresse du troisième et quatrième âges. Comme si tous les « vieux » étaient à jeter au rebut de la société! Ailleurs, dans les pays qui respectent leurs seniors, on sollicite régulièrement leur longue expérience et leur philosophie de l'existence. Les sénats du monde développé ne sont pas des asiles gériatriques ni des maisons de repos, au contraire, certaines décisions cruciales ne sont prises que si le cénacle des vieux les valide. Chez nous, on tourne quelqu'un en ridicule parce qu'il vit jusqu'à 80, 90, ou cent ans, parce qu'il conserve sa mémoire, son intelligence des choses profondes de la vie et sa capacité à voir plus loin que le bout de son nez ! L'insulte criminelle ! Ceux qui se prennent pour des « jeunes » nous rappellent l'exemple de Ben Ali qui, dès son accession au pouvoir, a tenu à renvoyer de lui l'image d'un président en pleine possession de ses facultés physiques et mentales. Une interview de l'époque – la seule accordée à un quotidien tunisien – était agrémentée de diverses photos montrant le dictateur déchu pratiquer les sports les plus éprouvants. On n'oubliera pas non plus qu'il se teignait les cheveux de manière à dissimuler tout poil blanc susceptible de trahir ses soixante-dix ans dépassés ! Bref, les multiples travestissements ne l'ont pas empêché de diriger despotiquement le pays ! Faire jeune pour tromper son public, ça ne marche pas à tous les coups et ce n'est pas parce qu'on a quelques années ou décennies de moins qu'une personne quelconque qu'on est plus apte qu'elle à la gestion des affaires d'une plus ou moins large communauté! Les exemples abondent qui prouvent tout le contraire ! La politique n'est pas qu'une affaire d'âge, et jeunesse physique n'y est pas forcément synonyme d'esprit réformateur, de mentalité démocratique ni de meilleure visibilité ! Il n'est pas dit non plus que toute vieille personne est un parangon de sagesse ! Mais quoi qu'il en soit, nous restons convaincus qu'il est très indécent, inhumain, voire criminel, d'insulter quelqu'un par sa vieillesse ! Alors de grâce, candidats « jeunes » aux prochaines élections, cherchez autre chose pour dénigrer vos adversaires ! Car un jour, vous aussi, vous serez vieux et les lazzis sur votre âge vous blesseront à mort ! Le bon politique qui voit vraiment loin sait anticiper un tel sort ! Ne tombez pas trop bas, car vous risquez de ne trouver personne pour vous aider à vous en relever ! Et ça c'est la pire des invalidités de séniles !