Un peu en arrière dans l'histoire, on évaluait les peuples selon leur savoir, ceux qui présentaient un taux d'ignorance élevé sont en bas du classement. Au fil des temps, l'ignorance n'est plus discutée autant, tout le monde s'instruit, on évalue donc plutôt sur le niveau des études, sur la culture générale sur la capacité d'exploiter ses connaissances dans son savoir-faire et son savoir-vivre. Ces connaissances qu'on commence à acquérir dès les écoles primaires, doivent donc obéir à un ensemble de critères d'efficacité pour faire de l'enfant, de l'individu, un être équilibré, sûr de lui et apte à s'intégrer dans la société et y être bon acteur. On remarque, néanmoins, que le niveau scolaire surtout dans les écoles étatiques, est en continuelle régression en Tunisie et que plusieurs faits en dérivent tels que la tendance des parents d'inscrire leurs enfants dès la classe préparatoire dans des écoles privées dans l'espoir de leur assurer une meilleure formation, voire un meilleur « service ». Quelles explications donnent ces parents ? Comment réagissent les enseignants face à cette problématique et à qui font-ils revenir la responsabilité ? Ils s'inquiètent pour leurs enfants... Chacun à sa manière Mme. Yosra, mère de deux enfants de 10 et 6 ans, affirme qu'effectivement « le niveau de nos écoles ne plaît plus à personne », elle dit que sans le suivi continu qu'elle effectue quotidiennement pour ses enfants quant à leurs cours et l'organisation de leurs cahiers ainsi que la révision de ce qui a été fait en classe, leurs niveaux auraient été médiocres. Elle précise que c'est grâce à son niveau à elle et de celui de son mari qu'ils font ce suivi, mais pour certains parents, ceux qui n'ont pas poursuivi leurs études par exemple, il devient primordial de recourir aux cours particuliers, ce qui est une très mauvaise habitude pour les petits. Mme. Yosra considère que la responsabilité n'est pas uniquement celle des enseignants, mais de tout un système qui gère mal ce secteur en négligeant le degré d'importance de l'enseignement et de l'éducation pour le présent et l'avenir de toute une société. Elle conclut par dire qu'elle ne veut pas céder au charme des écoles privées pour deux raisons. L'une est pour ne pas habituer ses enfants au luxe et ainsi leur rendre la vie pénible lorsqu'ils se retrouveront dans une société hétérogène, la deuxième raison est qu'elle considère que c'est de la pure arnaque, celle d'acheter l'information, la même qui est accessible par tout le monde, mais juste qu'elle est servie sur un plateau en or. M. Mohamed Ali a deux filles et un garçon, ses enfants sont tous inscrits dans la même école privée. Il dit que même pour l'année prochaine quand sa fille ainée sera au collège, il compte l'inscrire dans un collège privé aussi. Le monsieur explique que l'une des raisons est que lui et sa femme travaillent toute la journée et que la seule possibilité pour ne pas se soucier des risques est que leurs enfants soient sur place du matin à la fin de l'après-midi. La deuxième raison est, d'après lui, de garantir un entourage relativement sain pour leurs enfants et éviter les problèmes de violence. D'une autre part, il explique que le niveau général de l'enseignement s'est dégradé surtout dans les écoles étatiques et qu'il estime qu'en payant de l'argent, l'école est obligée d'assurer « une formation à la hauteur ». Il ajoute que ses enfants n'ont jamais eu besoin d'être suivis à la maison ni de recevoir des cours particuliers car tout est assuré à l'école pendant la journée, ils ont d'ailleurs de bons résultats et leurs niveaux surtout en langues française et anglaise sont satisfaisants. Les éducateurs revendiquent aussi ... Mme. Ben Hamed Sonia, enseignante de langue française dans un collège, réclame le niveau « lamentable » des élèves, surtout en français, qu'elle découvre d'une année à l'autre. Elle dit que dix ans en arrière, ce n'était pas aussi inquiétant, et que cela ne concerne pas que sa matière. Mme. Ben Hamed indique que les élèves sont en fait victimes d'un système éducatif non équilibré qui ne se focalise pas sur les données basiques mais vise à diversifier les matières et encombrer les cervelles des petits dès leur jeune âge ce qui constitue, selon elle, une fausse approche. Elle considère qu'il faudrait mieux leur assurer une formation solide dans les trois langues en parallèle et fournir la possibilité de les pratiquer, et dans les matières scientifiques aussi pour développer leurs capacités d'analyse et de compréhension non pas de « l'apprentissage machinal » comme on le remarque dans la majorité des écoles. Elle indique qu'il existe des matières que l'élève n'apprécie pas et qui le rendent dégouté parfois, comme l'histoire et la géographie, « on ne demande pas de les éliminer mais de chercher une meilleure méthode de les présenter pour attirer l'attention de l'enfant ». D'une autre part, Mme. Ben Hamed précise qu'il ne faut pas commencer dès le primaire à mettre la pression à l'enfant pour qu'il ait les meilleurs résultats, il faut le conscientiser quant au fait qu'il est en train de s'instruire pour son bien et qu'il doit aimer ce qu'il apprend pour savoir l'exploiter, tout dépend bien sur du niveau intellectuel des parents, cela joue presque le rôle majeur. Elle conclut par dire qu'elle n'essaye pas d'épargner la responsabilité des enseignants, car il faut considérer l'existence de certains éducateurs qui manquent de motivation et de conscience professionnelle et font exprès de fournir une information « approximative » pour pousser les parents à leur faire appel pour des cours particuliers. L'Etat face aux investissements dans l'enseignement privé M. Lassaad Yaacoubi, secrétaire général du syndicat général de l'enseignement secondaire explique qu'il existe plusieurs causes derrière cette situation de régression du niveau scolaire, notamment la mise en œuvre de programmes et de réformes qui ne sont pas basés sur l'évaluation ni sur la participation des enseignants, cela se fait sous forme de décisions projetées et appliquées directement. Le syndicaliste invoque également que la médiocrité de l'état de l'infrastructure et des outils de travail en plus du manque du cadre éducatif : tous ces facteurs affectent négativement le rendement des enseignants. Ceux-ci vivent dans une situation critique soulevée d'ailleurs par la dernière conférence organisée mardi 25 Novembre par le syndicat général de l'enseignement secondaire ayant pour objet de discuter la réforme et la réparation du système éducatif. En effet, M. Yaacoubi considère que cette situation que vit les enseignants en Tunisie les empêche d'être efficaces pour faire évoluer leurs techniques et leur formation ainsi que de moderniser leurs outils, ils ne sont même pas capables d'avoir la présence d'esprit nécessaire pour donner un cours dans les normes. M. Yaacoubi rappelle que c'est justement pour cette raison que le syndicat revendique un dialogue national qui adopte ce problème et discute des éventuelles réparations à effectuer commençant par l'amélioration de la situation de l'enseignant qui sera la clé de la réparation de tout le système notamment le niveau scolaire. D'une autre part, il a signalé le fait que la tendance des parents à inscrire leurs enfants aux écoles privées est explicable. Il précise qu'en refusant de trouver des solutions concrètes et efficaces au système éducatif et d'améliorer l'infrastructure ainsi que de réviser la situation des enseignants, l'Etat contribue directement à la régression du niveau scolaire dans les écoles étatiques et aux conditions médiocres dans lesquelles les élèves reçoivent leur formation. En contre partie l'Etat encourage de plus en plus les investissements dans l'enseignement privé et pousse ainsi clairement à la privatisation du secteur. Ceci induit une formation à deux vitesses, à deux niveaux décalés, l'un est supérieur et consacré aux gens aisés, l'autre est faible et déséquilibré pour la classe sociale n'ayant pas les moyens pour payer les écoles privées. Tous les aspects de la société, ou presque, s'avèrent être quelque part reliés à la situation économique du pays. La tendance à instaurer un système économique libéral, à la privatisation de la majorité des secteurs, semblent être, d'un côté, une solution pour faire tourner la roue de l'économie et minimiser les dégâts de la crise, mais sont de l'autre côté un inhibiteur pour certaines classes sociales, un facteur qui renforce leur marginalisation. La bonne formation scolaire n'est plus le droit de tous, le savoir semble devenir un luxe et se procurer ce luxe n'est pas donné.