Les films, en guise d'antidote à la vie ? Et si c'était la vie tout simplement, par l'autre bout de la lorgnette, qui venait se coltiner, parfois avec une violence inouïe, avec un cinéma sans concession, sans rémission, qui sait qu'il faut bien souvent en passer par la douleur et le manque, avant de pouvoir aborder d'autres rivages, pas forcément plus heureux, mais certainement nouveaux, ce qui nourrit l'espoir, même l'espace d'un instant, comme échappé au temps qui passe. Le temps qui passe ne reviendra pas. Sauf qu'il y a comme un chaînon, avec des maillons qui ne manquent pas, mais qui s'absentent parfois, pour revenir un peu plus tard, dans la filmographie de Pialat, parce que lui ne trace pas son œuvre, comme d'autres suivent un chemin, dont ils veulent être sûrs qu'il ne déviera pas, mais suit les soubresauts de la vie, comme il obéirait à un mouvement intérieur, qui le mine et l'anime en même temps, le cinéma étant loin d'être une sinécure pour lui. Lorsqu'il signera le « Garçu », son dernier long-métrage en 1995, Maurice Pialat avait-il conscience que sa trajectoire avait buté là ? Et qu'il n'y aura pas d'autres occasions de filmer, d'expérimenter le cinéma au corps à corps, dans cette lutte perpétuelle qu'il n'avait eu de cesse de mener, depuis qu'il avait tourné « L'amour existe » en 1961, avec un métier- passion-sacerdoce, lequel, du moins c'est ainsi qu'il l'aura toujours vécu, ne lui aura pas fait de cadeau ? Sauf, quelques rarissimes fois peut-être, comme l'on reçoit, impromptu, le clin- d'œil d'une belle inconnue qui passe dans la rue, et que l'on ne verra plus jamais cependant, tandis que poussent les premiers cheveux blancs, et que le « Grand Ailleurs », silencieux et magistral, vous somme de vous presser, parce qu'il vous attend, et qu'il n'y aura pas de train qui sifflera deux fois... L'amour, la vie, la mort, et ce tourbillon qui emporte les personnages, dans une valse éperdue et sans fin, le revers de l'amour étant toujours l'amour, ainsi soit-il et jusqu'à l'ultime trahison, au vif de la chair, le reste n'étant que détails... « Loulou » (1980), « A nos amours » (1983), « Police » (1985), « Sous le soleil de Satan » (1987), ou encore « Van Gogh » (1991), au fond, c'est un peu la même histoire : celle de l'infinie douceur de l'amour, et celle d'une incommensurable descente aux enfers, qui arborerait à chaque fois, un autre visage, histoire de tromper l'ennemi, et l'ennemi, c'est bien souvent un autre nous-mêmes. C'est peut-être pour cela que Maurice Pialat, cinéaste de la colère s'il en est, lorsqu'il recevra la Palme d'Or à Cannes Pour « Sous le soleil de Satan », sous les sifflets d'une partie du public qui aurait préféré que le film de Wenders « Les ailes du désir » soit plutôt récompensé à sa place, choisira de répondre, poing levé : « Si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus... ». Est-ce à dire qu'il n'aura jamais rencontré son public justement ? Rien n'est moins sûr, mais c'est une histoire d'amour, passionnée et passionnelle qui le liera à des cinéphiles, lesquels ne sont pas forcément ceux « accros » à une « Nouvelle Vague », dont il ne parviendra jamais à intégrer l'esprit comme la logique interne. Et ce n'est pas un hasard s'il signera en 1969, son premier long-métrage : « L'enfance nue », comme en réponse « Aux quatre-cent coups » de Truffaut. Il se trouve que chacun avait choisi la forme narrative qui lui convenait le mieux. Mais, paradoxalement, il y a résonance. On ne peut pas ne pas aimer Pialat...