L'entrée de la femme tunisienne dans le processus économique s'est faite progressivement. Durant les deux dernières décennies, la femme s'est imposée comme le pilier principal de l'économie en Tunisie, s'intégrant davantage et activement dans le milieu professionnel. Le milieu rural a connu, lui aussi, une participation et un engagement très actif de la part des femmes. Malgré la précarité et la dureté du travail dans le milieu rural, la présence massive de la femme doit appeler l'attention des experts et des observateurs. En effet, la rudesse des conditions et la surexploitation posent un véritable problème. Les femmes rurales travaillent beaucoup, Elles sont payées des miettes et ne jouissent d'aucun avantage en termes de droits de travail ou de couverture sociale. Qu'est-ce qui poussent ces femmes à travailler dans le milieu agricole dans le déni professionnel et social absolu ? Les indicateurs relevés par la société civile féministe ou pas ont toujours été inquiétants. Une chose est sûre, ces femmes sont, certes, le cœur battant de plusieurs métiers indispensables pour l'économie. Néanmoins, les tâches qu'elles assument ne présentent aucune valorisation ni reconnaissance professionnelle dans le processus économique. Il est à rappeler que la présence massive des femmes dans le milieu rural est plutôt dans le milieu agricole, tel que l'indique une enquête effectuée par l'ATFD (Association Tunisienne des Femmes Démocrates) et l'Observatoire Asma Fenni pour l'égalité des chances et la citoyenneté des femmes en Tunisie sur un échantillon de 200 femmes travaillant dans 7 régions différentes. Une enquête qui vise à mettre la lumière sur «un terrain largement marginalisé et ignoré». Ingratitude professionnelle et familiale Plus de 56% des femmes qui travaillent dans le milieu agricole dans des conditions pénibles sont âgées entre 41 et 60 ans. Les moins de 30 ans ne représentent que 17 %. Il est, également intéressant de noter que 69% des femmes interviewées sont mariées. Les célibataires ne représentent que 15% et les veuves 10%. Sur les 200 femmes interviewées, celles qui sont mariées affirment être obligées de travailler malgré la cruauté des conditions, afin d'aider leurs maris à gérer les besoins de leurs ménages. La cherté de la vie et les maigres revenus des conjoints les obligent à quitter le foyer pour se partager les charges. Quant aux femmes divorcées (elles représentent 4% de l'échantillon), elles ont déclaré qu'en l'absence de la pension de divorce et de pension de logement, elles sont amenées malgré elles à travailler et à accepter les maigres salaires qu'elles perçoivent contre une condition professionnelle des plus indignes. Outre la dureté du milieu dans lequel elles travaillent, ces femmes rurales vivent dans des foyers où il ne fait pas bon vivre. A l'insalubrité des logements, viennent se rajouter l'étroitesse des lieux, l'absence des conditions élémentaires de l'habitat (électricité, eau potable, chauffage et l'assainissement), l'infrastructure et l'aménagement des maisons. L'une d'elle, âgée de 45 ans, vit avec sa fille dans un garage qu'elle loue à 45d par mois. L'instabilité professionnelle et les maigres revenus lui ont valu l'exclusion à répétition des petits logis qu'elle louait. Il va sans dire que les conditions rudimentaires dans lesquelles les femmes rurales travaillent participent profondément à la paupérisation de la femme tunisienne. Elles sont, de ce fait, encore plus vulnérables et esclaves de leur condition. Effectivement, alors qu'elles sont très souvent le seul membre de la famille qui fait manger tout le monde, les femmes agricoles sont dépourvues de leur droit de propriété. En effet, la propriété du logement pose un réel problème. La ménagère a beau être celle qui ramène l'argent, elle n'a pas le droit, non pas devant la loi mais face à la société patriarcale dans laquelle elle évolue (représentée dans ce genre de cas, par le mari ou le fils), d'enregistrer le petit foyer qu'elle a acheté en son nom. Pis encore, dans plusieurs cas, les femmes copropriétaires sont souvent dépossédées de leur foyer suite à un divorce ou à un décès. La raison est simple, la femme contribue totalement ou presque à l'octroi de la maison, mais à sa grande surprise, elle se rend compte que le mari a enregistré ce bien en son nom. En as de divorce, elle se retrouve sans foyer. Une des femmes interviewées habitant Utique, se confie : «Grâce à mon travail, j'ai pu acheter un petit lopin de terre et j'aicommencé à construire pierre par pierre la maison en me privant de beaucoup de choses. Je n'ai jamais pensé à la propriété. Mon mari est devenu de plus en plus violent et j'ai décidé d'entamer une procédure de divorce. A ma grande surprise, je me rends compte que la propriété de ma maison revient à mon ex-époux.» Cette ignorance de leurs droits rend ses femmes encore plus vulnérables. Elles sont 80% ayant un niveau d'éducation primaire. De ce fait, elles ignorent leurs droits. Cette méconnaissance fait qu'elles sont moins capables de se défendre et de lutter contre la surexploitation professionnelle et l'iniquité sociale au sein même de leur foyer. Une double discrimination que la femme rurale endure depuis deux décennies voire plus.