Après avoir mis sa machine électorale en branle et appelé ses partisans à voter massivement pour le président sortant Moncef Marzouki au 1er tour de la présidentielle, le mouvement Ennahdha semble avoir changé opportunément de cap. Les dernières apparitions médiatiques du président du parti islamiste arrivé en deuxième position aux législatives avec 69 sièges, derrière Nidaâ Tounes (89 sièges), ont éclairé davantage la lanterne de l'opinion publique sur la position que devrait prendre le parti durant le deuxième tour de la présidentielle, prévu le 21 décembre. Dans une interview diffusée dans la soirée du mardi 16 décembre sur Nessma TV, Rached Ghannouchi a fait plusieurs appels du pied à Nidaâ Tounes et à son candidat Béji Caïd Essebsi, tout en lançant des piques à son concurrent, confirmant ainsi l'orientation de son parti à lâcher Moncef Marzouki. Rassembleur et constructif, le chef historique de l'ex Mouvement de tendance islamique (MTI) a balayé en quelques mots les arguments du «Taghaoul» (hégémonie) et du risque du retour de la tyrannie que les partisans de Marzouki ne cessent de mettre en avant pour tenter convaincre les électeurs des dangers de la concentration du pouvoir exécutif et législatif entre les mains d'un seul parti. «Personnellement je n'ai pas cette hantise, et il est impossible pour quiconque de faire retourner le pays à la tyrannie et à la répression. C'est une ère révolue», a-t-il martelé. Dans ce même registre, M. Ghannouchi a rappelé que les résultats des législatives ont confirmé ses déclarations faites avant les élections et selon lesquels «Nidaâ Tounes est un grand parti», tout en indiquant que Béji Caïd Essebsi est parfaitement capable de diriger le pays. Faisant preuve d'un pragmatisme hors pair et d'un grand sens tactique, le leader du mouvement Ennahdha a fait savoir qu'il serait plus facile de diriger le pays si les deux têtes de l'exécutif sont du même bord, faisant allusion au fait que la gouvernance du pays serait plus aisée où cas où Caïd Essebsi remporte la présidentielle. Il a également précisé que le discours de certains membres de Nidaa Tounes qui ont évoqué à plusieurs reprises qu'ils ne comptent pas partager le pouvoir avec Ennahdha n'a pas permis au candidat de ce parti à la présidentielle d'attirer une partie des sympathisants du parti islamiste. Cohabitation M. Ghannouchi a, par ailleurs, révélé hier sur les ondes de Mosaïque FM qu'Ennahdha pourrait appeler ses partisans à voter blanc. «Le vote blanc est une forme de neutralité », a-t-il lâché, sans plus de précision. Il n'a pas, par ailleurs, manqué de critiquer certaines prises de position du président sortant. « Nous refusons le discours qui divise le peuple le tunisien entre nouveau régime et ancien régime», a-t-il souligné, tout confirmant la prédisposition de sa formation à participer à un gouvernement d'union nationale aux côtés de Nidâa Tounes. Et d'ajouter : l'élection du président et du vice-président de l'Assemblée donne un bon exemple d'une cohabitation entre les deux plus grands partis représentés au parlement. Nous avons soutenu le candidat de Nidaâ Tounes et ils ont soutenu notre candidat». Le président d'Ennahdha a, par ailleurs, appelé implicitement Moncef Marzouki à accepter les résultats des élections et à ne plus crier au risque de fraude et douteur de la neutralité de l'instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). «Il faut accepter les résultats du scrutin et féliciter du vainqueur. Le perdant ne doit aucunement provoquer une révolution», a-t-il averti. A noter que le conseil de la Choura d'Ennahdha a laissé à l'issue de sa réunion tenue le week-end dernier aux partisans du parti «le libre choix de voter pour le candidat qu'ils considèrent comme étant le mieux indiqué pour occuper le poste de président». Cet organe consultatif du parti islamiste a également salué «le nouveau consensus qui a prévalu au sein de l'Assemblée des représentants du peuple», appelant ses députés à «préserver ce climat positif de confiance réciproque». Le Conseil de la choura a, par ailleurs, estimé que «le pays a besoin d'un climat de stabilité politique et sociale qui nécessite la mise en place d'un large gouvernement nationale». Selon certains observateurs, la probable neutralité effective d'Ennahdha, qui pourrait se traduire par un fort taux d'abstention de ses électeurs ou par un vote blanc, servirait le candidat de Nidâa Tounes, car même si la direction du parti n'exerce plus un contrôle absolu sur la totalité de ses troupes, elle garde toujours une autorité incontestée sur ce qui constitue la base de masse du mouvement.