Inaugurée fin novembre 2014, l'exposition "Carthago" organisée par le musée de Leyden, aux Pays-Bas, se poursuit, cinquante jours après, avec un grand engouement du public, comme le révélait un reportage de la chaîne "Al Hiwar Ettounsi" diffusé ces derniers jours. C'est avec le soutien du ministère tunisien de la Culture, de l'ambassade tunisienne aux Pays-Bas et de l'ambassade néerlandaise en Tunisie que cette exposition a vu le jour. Les services de l'Office national du Tourisme tunisien aux Pays-Bas sont également intervenus en soutien à cet événement majeur dans la mesure où il réunit 250 objets retraçant l'histoire de Carthage et provenant du Louvre, du British Museum et, bien entendu, des musées de Carthage et du Bardo. En ce sens, l'Institut national du patrimoine a constitué un élément essentiel dans le développement de ce projet. Une collection exceptionnelle Imaginée par Wim Weijland et Pieter ter Keurs, respectivement directeur et conservateur du musée des Antiquités de Leyden, cette exposition est en effet née d'une idée néerlandaise. Pour Pieter ter Keurs, il fallait créer en Europe un événement autour de Carthage qui soit effectivement centré sur l'histoire de la métropole sud-méditerranéenne et ses remous. Selon lui, "Carthage est le sujet de l'exposition, non pas les guerres puniques, non pas Hannibal, non pas la destruction de la ville, mais Carthage elle-même, prise dans son réseau local en Tunisie et ses ramifications en Méditerranée". Pour Wim Weijland, qui abonde dans le même sens, "dans une exposition, on ne peut pas montrer une culture par sa destruction. C'est pour cela que notre démarche tente de montrer qui sont les Carthaginois, quel était leur mode de vie, leurs croyances". De fait, l'exposition obéit bel et bien à cette volonté. Déployée sur deux vastes espaces, elle se divise en deux sections, l'une punique, l'autre romaine et paléo-chrétienne. Cette structuration permet de montrer à travers une collection d'objets les évolutions successives de Carthage mais aussi les multiples influences culturelles en jeu à cette époque lointaine, notamment étrusques, grecques ou égyptiennes. Au delà, les organisateurs mettent un point d'honneur à demontrer par les objets sélectionnés que l'influence punique a duré très longtemps après la destruction de Carthage, qu'elle a continué à exister sous diverses formes. Ainsi, l'affiche de l'exposition qui, soit dit en passant est visible partout à Amsterdam, la Haye et Rotterdam, est une figure léontocéphale d'époque romaine mais d'inspiration égyptienne et punique. Cette statue du musée du Bardo souligne bien la complexité du syncrétisme africain à l'époque romaine et la persistance de l'héritage culturel carthaginois. Cette déesse à tête de lion montre bien que la culture punique n'a pas disparu après la destruction de Carthage et souligne le souci des conservateurs du musée de Leyden de donner une image équilibrée de l'histoire. Une vision globale de la Carthage antique L'exposition "Carthago" a aussi pour objectif de montrer l'image de Carthage dans la culture européenne. Pour cela des dessins, gravures, peintures et estampes ont été réunis pour mettre en valeur les lectures européennes de l'histoire de Carthage. Incorporer ces oeuvres dans l'exposition apporte un autre éclairage sur le passé et l'identité mythique de Carthage en Europe dans la mesure où cette civilisation n'avait survécu que dans les oeuvres des artistes et des écrivains. Ce qui frappe le visiteur de prime abord, c'est la volonté des muséographes de Leyden de reproduire dans la scénographie de l'exposition, la structure des ports puniques de Carthage, avec dans les deux salles, un module central qui évoque l'ilot de l'amirauté puis des vitrines qui invitent à une circulation fluide, comme si le visiteur flottait au port de Carthage. Le plan général de l'exposition est relativement aisé à saisir. En premier lieu, le visiteur découvre une section consacrée à la fondation de Carthage. Ensuite, une seconde section introduit le personnage fondamental de Jean-Emile Humbert, ce Néerlandais qui a redécouvert Carthage et qui est le fil rouge de cette exposition. Trois autres sections complètent le plan général. L'une s'intéresse aux rituels mortuaires à Carthage, l'autre à la vie quotidienne des Carthaginois et la troisième aux guerres puniques et au personnage d'Hannibal. Enfin, l'exposition se termine avec des oeuvres d'artistes européens à propos de Carthage. Signalons aussi une annexe à l'exposition qui a pour objet de présenter l'histoire de l'archéologie de Carthage. Les exposants y retracent les débuts précoces des fouilles avec Humbert, la compétition entre diplomates, amateurs et aventuriers qui, entre 1850 et 1875, se sont disputé les vestiges puniques et romains. Cette exposition se poursuit avec l'évocation de l'œuvre des Pères blancs dans le domaine archéologique et l'établissement du musée de Carthage. Enfin, la campagne de l'Unesco pour sauver Carthage termine cette section en montrant comment cette campagne internationale de 1972 a mené au classement de Carthage dans l'héritage mondial en 1979. Il est difficile de revenir sur les 250 objets qui forment cette collection exceptionnelle. Leur diversité, leurs provenances, le dialogue silencieux entre les oeuvres soulignent le travail en profondeur des conservateurs du musée de Leyden qui ont mis plus de deux ans pour mettre en place cette exposition. De nombreux motifs de satisfaction Si l'inauguration de l'exposition a été un moment fort, les cinquante jours qui viennent de passer ont drainé un public qui dépasse toutes les espèrances. Les Néerlandais ont véritablement fait un triomphe à cet événement avec un musée qui ne désemplit pas et de probables répercussions sur le tourisme en Tunisie De nombreuses animations culturelles et des conférences scientifiques sont organisées selon un rythme hebdomadaire au musée de Leyden, y compris des programmes pour les plus jeunes. Et l'engouement va croissant, aussi bien pour l'exposition "Carthago" que pour la collection permanente du musée qui comprend de surprenantes oeuvres tunisiennes découvertes par Humbert au dix-neuvième siècle. Toutefois, l'événement est incontestablement constitué par les 160 objets tunisiens en provenance des musées de Carthage et du Bardo. Et comme le résumait un visiteur:"Ce qui est extraordinaire, c'est que cette exposition nous apprend aussi que Carthage a dominé les mers de l'Antiquité. Comme le feront les Pays-Bas beaucoup plus tard". Comme quoi, l'histoire a de belles histoires à nous raconter... Coup de chapeau donc pour les organisateurs Wim Weijland, Pieter ter Keurs et Tanja van der Zon, directrice de ce projet au musée de Leyden. Les deux ambassadeurs en poste, Mohamed Karim Ben Becher à Amsterdam et Hans van Vloten Dissevelt à Tunis, peuvent également avoir bien des motifs de satisfaction. Tout comme les autorités culturelles et touristiques tunisiennes qui réussissent avec cette exposition à faire bouger un public néerlandais qui constitue un gisement alternatif pour le tourisme culturel dans notre pays. Inaugurée le 27 novembre 2014, cette exposition se poursuit jusqu'au 10 mai 2015 au musée des Antiquités de Leyden, l'un des trois plus importants musées nationaux des Pays-Bas.