L'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) a appelé, hier, à révéler la vérité sur les événements du 26 janvier 1978, à rendre justice aux victimes de ces incidents meurtriers et à demander des comptes aux responsables qui étaient à l'origine des souffrances endurées par des milliers de familles. «Il est grand temps de rétablir la justice et l'équité sans lesquelles il n'y aura pas de réconciliation. Il est aussi grand temps d'ouvrir les archives aux chercheurs afin qu'ils étudient cette époque et présentent la vérité historique au peuple pour en tirer les leçons qu'il faut et rattraper les années perdues durant lesquelles le pouvoir n'a fait que reproduire les mêmes mauvais modes de gouvernance et les mêmes choix improductifs dans tous les domaines» , a souligné la centrale syndicale dans une déclaration publiée à l'occasion de la commémoration du 37ème anniversaire de ces incidents connus sous l'appellation des «événements du jeudi noir». L'UGTT a également exprimé le souhait de récupérer ses archives saisies par les autorités à l'occasion des diverses crises qu'a traversées l'organisation ouvrière qui a toujours bataillé pour préserver son autonomie et son indépendance vis-à-vis du pouvoir. Dans ce même chapitre, la puissante centrale syndicale a appelé les militants qui détiennent une partie de ces archives à les confier à l'organisation en vue de sauvegarder la mémoire collective nationale et syndicale. Les événements du 26 janvier 1978 sont le résultat d'une longue lutte d'influence entre le gouvernement et l'UGTT. A cette époque, les divergences entre le Parti Socialiste Destourien (PSD) et la centrale syndicale, qui était la principale force structurée du pays depuis sa création en 1946, avaient atteint leur apogée. Le parti au pouvoir avait alors tenté de mettre à genoux l'UGTT à coups de tentatives d'infiltration, d'intimidation de répression policière. La centrale syndicale tentait, elle, par tous les moyens de préserver son indépendance. Bilan controversé La goutte qui a fait déborder le vase était le vote par le comité central du PSD, le 20 janvier, d'une résolution réclamant «l'épuration» de la direction de l'UGTT et les attaques menées par les milices du parti contre les locaux de l'UGTT à Tozeur, à Sousse et à Tunis les 22, 23 et 24 janvier. Suite à l'arrestation du secrétaire général de l'antenne régionale de l'UGTT à Sfax, Abderrazak Ghorbal, le secrétaire général de la centrale syndicale, Habib Achour, a appelé à une grève générale pour les 26 et 27 janvier 1978 devant une foule réunie sur la place Mohamed Ali à Tunis. Habib Achour avait alors affirmé qu' «il n'y a de combattant suprême que le peuple», en référence au titre donné au président Habib Bourguiba. Après cette déclaration, des affrontements assez violents éclatèrent entre les forces de l'ordre et des manifestants soutenant le leader syndicaliste. En outre, le PSD, dans une campagne diffusée par la presse écrite et audiovisuelle, a appelé ses militants à « descendre dans la rue pour empêcher la grève par tous les moyens» tandis que l'UGTT a demandé à ses affiliés de rester chez eux afin d'éviter tout attroupement et ne pas donner suite aux provocations. Dans la matinée du jeudi 26 janvier 1978, des manifestations éclatèrent à Tunis, et, suite à des provocations menées par des voitures banalisées, des barricades furent érigées. L'armée, la police et des milices du parti ont tiré sur les manifestants à balles réelles, sans aucune sommation préalable. Dans l'après-midi, vers 14 heures, le président Habib Bourguiba décréta l'état d'urgence, qui ne sera levé que le 25 février, et un couvre-feu à Tunis et sa banlieue qui a duré pour sa part jusqu'au 20 mars. Le bilan officiel des affrontements fait état de 46 morts et 325 blessés alors que l'opposant Ahmed Mestiri a dénombré 140 morts. D'autres sources indépendantes ont évoqué un bilan 200 morts et plus de 1000 blessés. A ce jour, le nombre exact des victimes n'a pas été déterminé d'autant plus, que selon l'UGTT, le principal responsable des massacres du Jeudi noir est le président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, qui était à l'époque le dirigeant des services de renseignements. Les dizaines de procès, qui ont lieu dans les jours qui suivent, ont conduit à la condamnation de quelque 500 responsables syndicaux accusés de «d'agression visant à changer la forme de gouvernement, incitation de la population à s'attaquer en armes les uns aux autres, incitation au désordre, au meurtre et au pillage» à de lourdes peines de prison. La majeure partie des syndicalistes emprisonnés ont été libérés après l'entrée en fonction du gouvernement de Mohamed Mzali.