Pour cet artiste, l'essentiel est de créer quelque chose qu'il aime, qu'il ressent. Ce qui compte pour lui, c'est quand le résultat est là, c'est simplifier : pas de règles à appliquer, pas de ligne directrice, ne pas se compliquer la vie... Mais à peine regarde-t-on ses ouvrages achevés, on se croirait devant l'une des œuvres d'artistes chevronnés et très réputés dans le milieu artistique. C'est que notre artiste est autodidacte, sans recevoir une formation requise en la matière, à part les quelques artistes tunisiens qu'il a côtoyés ou les rares galeries qu'il a fréquentées dans sa vie. C'est qu'il exerce la peinture dans son état brut, sans s'inspirer d'aucun courant artistique : Mohamed Bel Hédi Chérif vient de clôturer sa toute première exposition personnelle qu'il a organisée à l'âge de 71 ans et qui, pour lui, représente un exploit artistique inouï, vu le grand nombre de visiteurs qui se sont déplacés jusqu'à son atelier personnel à Mégrine pour voir la production de plusieurs décennies de cet artiste atypique et très singulier. Mohamed Bel Hédi Chérif s'en réjouit, car il ne s'attendait pas à un tel succès ! Notre artiste est toujours paisible, jovial et au sens inné de l'humour. Il est sociable et bien formé culturellement et politiquement. D'une grande culture sociale et politique, il se montre bien attaché aux origines. Bon pied, bon œil, l'âge n'a pas d'emprise, alerte et vif, d'un coin à un autre il ne cesse d'expliquer et de bouger d'un tableau à un autre. Outre la peinture, Mohamed Chérif se passionne pour la poésie et la musique classique et compte bientôt publier son premier recueil de poèmes. Nous l'avons abordé le jour de la clôture de son exposition. Entretien. Le Temps : Quelles sont vos impressions après avoir organisé votre première exposition personnelle. Mohamed Bel Hédi Chérif : C'est un grand plaisir que de voir des centaines de gens visiter ma première exposition, où j'ai présenté les travaux de plusieurs décennies, qui sont un amalgame de plusieurs formes d'art (dessins, peintures, installations...), que j'ai créés pour moi-même, selon mes fantasmes et mes délires, sans pour autant avoir eu l'intention de les exposer ou de les vendre, comme si je faisais l'art pour l'art. Venu le jour où j'ai présenté au public ces travaux, et j'étais agréablement surpris par l'afflux des gens qui sont venus dans mon atelier : une fierté pour moi que de recevoir tout au long de l'exposition des amateurs d'art, hommes et femmes, des artistes de tous bords (Brahim Azzabi,Sami Ben Ameur, Ali Zénaïdi, Habib Bida, Khalil Gouia, Abdelmajid Ayed...), des hommes de culture et même d'anciens ministres (Hédi Baccouche, Amor Chedli, Mourad Sakli...), qui ont tous apprécié mes créations. Commençons par le commencement. Comment êtes-vous venu à l'art ? Je n'ai pas vraiment eu de formation académique ; au contraire, j'ai fait des études en électricité et j'ai travaillé comme ingénieur en électricité. Aucun rapport avec les deux branches ; mais l'art est dans mon fort intérieur depuis ma tendre enfance : je m'initiais par des dessins au crayon, des esquisses et des illustrations qui correspondaient aux poèmes arabes et français qu'on apprenait à l'école primaire et j'attirais l'admiration de mes instituteurs... Enfant, j'adorais dessiner. Il me fallait toujours avoir des pastels ou des crayons sous la main, sinon je m'ennuyais. Et c'est ainsi que naissait et se cultivait quelque part en moi la vocation de peinture, je commençais alors à produire de grands tableaux..., c'est que je suis autodidacte et fier de l'être ! Peut-on qualifier votre peinture d'art brut, puisque vous n'avez jamais été dans les écoles de beaux-arts et qu'aucun courant artistique ne vous inspire ? Oui, plusieurs artistes me disent cela. L'art est toujours de l'art, qu'il soit brut ou fini, qu'il soit classique ou moderne, figuratif ou abstrait. L'essentiel est qu'il soit créatif et qu'il fasse preuve d'imagination, de sensibilité et qu'il soit le fruit de sensations intenses éprouvées par l'artiste. C'est ainsi qu'on devient artiste : les plus belles créations artistiques sont celles qui échappent aux règles préétablies ! N'est-ce pas ? Combien de fois on s'est félicité des créations d'autodidactes ! Pourriez-vous nous expliquer comment vous créez vos travaux ? Toutes mes œuvres sont nées d'une sensation que j'ai ressentie. Dès que je ressens un fait, un état, un événement, je mets la toile sur le chevalet et commence à reconstituer la situation telle que je la ressens. Parfois, ce sont mes rêves, mes envies et mes fantasmes qui me procurent le besoin de peindre. Et dès que je me mets au travail, la conception des matières, des formes et des couleurs vient de soi. En qualité d'autodidacte, je me permets de toucher à tout. Je me laisse emporter par ce que je ressens au moment de créer. J'essaye de varier autant les thèmes que les techniques, c'est un mélange de plein de choses, et ainsi, les toiles naissent les unes après les autres, dans la diversité. Parfois, j'essaie de reproduire le quotidien et face au chaos du monde où nous vivons, la tendance tient souvent à reprendre les choses d'une manière plus harmonieuse. Vous avez donc fait l'art pour l'art. Mais maintenant que vous avez eu ce grand succès, pourriez-vous vivre de votre peinture ? Disons que rares sont les artistes tunisiens qui vivent de leur art. D'ailleurs, la plupart de nos artistes se plaignent de la situation du secteur des arts. Cependant, je pense que pour qu'un peintre puisse vendre suffisamment ses tableaux, il faut qu'il soit assez célèbre. De même, du moins en Tunisie, les métiers artistiques restent très aléatoires. De toute façon, je n'ai pas encore exposé dans des galeries commerciales. Et puis, vivre de mon art reste mon dernier souci ! Enfin, la reconnaissance d'un peintre vaut mieux pour moi que l'aisance matérielle !