Le débat sur la réconciliation économique a pris dans certains milieux une dimension émotionnelle. Certains veulent en faire une occasion pour remonter la tête et se faire entendre après leur débâcle dans les dernières élections. D'autres pensent que le moment est à l'effacement de l'ardoise du passé, sans engagement sérieux pour reprendre leurs activités économiques, faisant du pays un simple dortoir où ils gèrent leurs affaires à l'étranger. Chacun profite de l'avènement du projet présidentiel de réconciliation nationale en fonction de ses propres intérêts, sans vision globale, claire au profit du pays. Ainsi, s'impose l'interrogation : la question de la réconciliation est-elle posée comme, il se doit. L'intellectuel Hammadi Redissi éclaire les lecteurs du Temps. Détails. Le Temps : La question de la réconciliation économique, après l'initiative de la présidence, est-elle bien posée ? Quelle est votre analyse et, éventuellement, vos suggestions ? Hamadi Redissi : L'idée est bonne, le texte l'est moins, la mise en scène mauvaise. On n'a pas su vendre le produit. Et la contre-compagne a été impitoyable. Elle a fini par convaincre que la présidence veut tout effacer et recommencer à zéro. Les promoteurs du projet, en commando du Palais relayés par les Quadras de Nidaa, sont montés au créneau multipliant les déclarations contradictoires et les mises au point. Dans une contribution publiée par Huffingtonpost, David Tolbert, le très influent président du Centre International de Justice Transitionnelle (équivalent d'Amnesty en la matière) s'y est laissé prendre pensant qu'il s'agit d'une réconciliation nationale c'est-à-dire d'un arrêt avant terme du processus de la justice transitionnelle. Il a raison d'avoir peur. Personnellement, j'ai été intoxiqué par ce discours, avant que je lise la loi. De quoi s'agit-il ? D'une réconciliation nationale alors qu'il ne s'agit même pas de réconciliation économique, mais d'une solution qui se veut technique à trois séries de problèmes qui appartiennent à trois registres différents, la faute dans l'exercice des fonctions, la corruption et l'infraction au taux de change. C'est la première erreur : mal nommer les choses. Et puis tous, régime et opposition, société civile et médias, se sont mis à épiloguer sur les quatre à cinq principes de la justice transitionnelle et leur éventuelle remise en cause : les poursuites, le droit à la vérité, les dédommagements, la réconciliation et les réformes institutionnelles. Mais ceux-ci ne s'appliquent entièrement qu'aux responsables des dépassements aux droits humains. Et encore pas d'une manière linéaire ( L'Afrique du Sud est allée immédiatement à la réconciliation, le Maroc à la compensation et la Pologne a privilégié la sanction....). Ni au staff politique d'un régime déchu ni à l'inner-circle, le cercle intime des corrompus qui gravitent autour du dictateur. Que veut-dire le droit à la vérité (qui a une composante morale) pour un corrompu ? Qu'il n'essayera plus de tirer profit du système s'il en a l'occasion ? C'est absurde. On doit le pénaliser c'est tout. Le problème de l'Instance Vérité et Dignité, tout le monde en a parlé : trop d'attributions sur une longue période (1955-2013), accordés à peu de gens, pas suffisamment neutres pour tout examiner en si peu de temps (4 à 5 ans). Maintenant, la loi proprement dite contient trois types de dispositions : la première amnistie à juste titre les responsables administratifs, lesquels, dans l'exercice de leurs fonctions, font l'objet de poursuites, à moins qu'elles portent sur des affaires de corruption. Cette disposition ne devra pas figurer dans la loi. Elle devra faire l'objet d'une loi à part. C'est même humiliant de mêler les grands commis de l'Etat aux affairistes. La seconde disposition concerne les avantages ou les biens acquis indûment par la corruption. Je la vois difficilement applicable de manière volontaire, au cas par cas, transaction par transaction. Pas plus que n'est réaliste de demander à ceux qui disposent de comptes à l'étranger (a), de disposer de devises sur la base de transactions (b) ou autre (c) de les déclarer et de les transférer en dinars (convertibles) et de payer en sus une amende et ce, sur la base d'une législation sur le taux de change désuète. C'est pour cela que je dis, la loi « sur la réconciliation nationale » c'est beaucoup de bruits pour si peu et peut-être pour rien, pour paraphraser qui vous savez ! Mais alors quel est l'enjeu de la loi ? Politique. Le président et son parti veulent faire passer un message d'apaisement et d'unité nationale en temps de crise. Mais ils s'y sont mal pris. Ils ont fait croire à l'opinion mal informée que les crimes de Ben Ali vont être effacés, leurs biens restitués, les criminels amnistiés. D'autant plus que nombre de signes indiquent que le parti Nidaa prend de plus en plus l'allure d'un néo-RCD, avec mêmes des « salafistes de l'ancien régime ». C'est le grand coup médiatique de l'opposition. Elle l'a réussi. L'IVD empêtrée a manqué dans ce dossier de sagesse : il suffit de lire la loi pour se rendre compte qu'elle peut tout bloquer (elle dispose de 2 sièges sur 6 dans la commission qui arbitre en matière de transactions douteuses). Elle a préféré surenchérir, bon ! La loi passera probablement aménagée. Mais les gens garderont en mémoire qu'un certain parti se prenant pour le parti de tous a fini par être le parti de quelques uns et peut-être des mêmes !