En soi, cette édition des Journées cinématographiques de Carthage constitue un événement. En effet, pour la première fois depuis sa fondation, le festival cinématographique arabe et africain passe à une périodicité annuelle. Souvent envisagée, toujours reportée aux calendes grecques, cette mesure a enfin été prise et ne peut qu'augurer de bonnes choses pour les JCC. Un double forum ouvert sur des cinémas en mouvement Ce nouveau rythme annuel ne pourra qu'accroître le rayonnement et la visibilité des JCC, tout en permettant de voir plus de films. Cette nouvelle périodicité annuelle devrait également ouvrir la voie à un désenclavement du festival en le poussant vers deux directions complémentaires: d'une part, les JCC pourront consolider l'identité et la singularité arabo-africaine de leur compétition; d'autre part, le festival pourra poursuivre et renforcer son ouverture sur le cinéma international. En ce sens, fortes de leur présence annuelle, les JCC peuvent enfin aspirer à devenir un double forum, ouvert sur toutes les cinématographies en mouvement. De plus, ce festival, historique pour la promotion des cinémas du Sud, devra continuer dans cette voie, en s'ouvrant davantage sur les cinémas d'art et d'essai et sur les productions indépendantes. Car, il est illusoire de comparer, avec tristesse, les JCC aux festivals qui sont nés dans le monde arabe, aussi bien à Marrakech que dans les Emirats du golfe. Même si les JCC font usage de paillettes et de tapis rouge, leur identité n'a rien à voir avec le glamour et le show business et elles ne doivent pas être comparées à ces manifestations qui ne trouvent leur sens que dans le spectaculaire mondain et les défilés de stars, payées rubis sur l'ongle pour leurs apparitions. Les JCC représentent autre chose: un écho du cinéma militant des décennies antérieures, un espace cardinal pour confronter les nouvelles approches de cinéastes à cheval sur deux voire trois continents, un lieu de synthèse pour la redéfinition perpétuelle d'une cinématographie alternative, le porte-parole des cinémas de la périphérie face à un centre qui, bien que mieux nanti, semble en panne d'inspiration. Une identité forte et une mémoire plurielle Cette identité forte des JCC doit être préservée car c'est bien elle qui fonde la singularité de ce festival, son caractère unique. Dommage seulement que cette session historique, qui devra rester un pivot dans la longue marche des JCC, ne rende hommage sur fond d'affiches, qu'à Tahar Cheriaa et Ousmane Sembene, considérés, à raison, comme les co-fondateurs de ce festival. La question, toutefois, fuse d'elle-même: où est donc passé Youssef Chahine? N'est-il pas le troisième pilier sur lequel les JCC ont construit leur notoriété? N'est-il pas le versant arabe du festival depuis les toutes premières sessions? Cet oubli, souhaitons-le, devra être réparé l'année prochaine, pour une 27ème édition appelle à renouer avec toute la mémoire du festival, tout en continuant à se projeter de l'avant. En tout état de cause, le programme général de cette édition 2015 incite à l'optimisme et souligne combien la nouvelle équipe des JCC reste vigilante et ouverte sur l'actualité. Le reste, c'est cette alchimie particulière du festival avec sa ville et son public qui, comme toujours, répondra présent en masse. C'est donc parti pour une semaine de cinéma avec au bout un podium qui sera applaudi et contesté, une fréquentation record qui sortira nos salles de leur morosité et, aussi et surtout, des retrouvailles massives et passionnées avec le cinéma et la culture qui sont une manière de dire "non" aussi bien aux dictatures qu'à la terreur qui gronde et menace...