«Les JCC retrouveront leur périodicité bisannuelle», a déclaré le ministre des Affaires culturelles, Mohamed Zinelabidine, lors de la conférence de presse donnée le 14 décembre. Cette annonce n'est pas passée inaperçue du côté des professionnels du cinéma puisqu'un bon nombre d'entre eux ont d'emblée réagi sur les réseaux sociaux et dans les médias afin de déplorer cette décision qu'ils jugent «unilatérale». «Nous n'avons pas été consultés, ni impliqués», ont-ils regretté. Plus, récemment, mardi dernier, ils se sont réunis au cinéma «le Rio» afin de débattre de la question et de communiquer, in fine, au ministre leurs propositions par écrit. Ces professionnels, entre réalisateurs, producteurs, exploitants et distributeurs, envisagent de mener plusieurs actions et de créer «un collectif» et «une force» afin que la manifestation arabo-africaine préserve sa cadence annuelle acquise depuis l'année 2015. Tout en considérant la décision du ministre comme «un pas en arrière» d'autant qu'ils jugent «avoir mené un combat, pendant plusieurs années» afin que le festival se tienne tous les ans. Plus, les acteurs du champ cinématographique estiment qu'en revenant à la cadence bisanuelle, «les JCC ne pourront plus soutenir la concurrence avec les festivals de Dubaï, Marrakech, Le Caire et autres manifestations du Sud et du Nord qui se focalisent sur les cinématographies arabes et africaines, puisqu'elles n'auront plus ces films en exclusivité». Plus, à leurs yeux, «la mauvaise organisation de la dernière édition des JCC ne peut justifier, à elle seule, ce retour en arrière». Il est vrai que la 27e session des JCC s'est terminée en queue de poisson au rythme des incidents, des couacs et des déclarations intempestives du directeur Ibrahim Ltaïef. Il est vrai, également, que cette édition, qui célébrait le 50e anniversaire des Journées, a connu des problèmes de logistique, d'infrastructure, d'accueil calamiteux des invités, de billetterie, un vrai calvaire vécu par le public, les invités et les journalistes pour acquérir les billets. Mais tous ces problèmes d'organisation ne réfutent guère, malgré tout, la qualité des films programmés dans la majorité des sections ainsi que la singularité d'autres sections telles les JCC dans les universités, les régions, les prisons et les casernes, et enfin la formidable affluence d'un public exceptionnel. Ainsi, les JCC créent non seulement une dynamique culturelle mais aussi économique et touristique, sans compter l'animation de la capitale. On peut se demander, alors, pourquoi retourner en arrière en revenant à l'ancienne périodicité du festival. Si c'est, juste, en raison des problèmes d'organisation, la solution existe : il n'y a qu'à opter rapidement pour la création d'un bureau permanent des JCC et la désignation, après consultation de la profession, du nouveau directeur. Ce qui garantirait le temps nécessaire et les délais adéquats pour la réussite du festival, fond et forme confondus. S'il s'agit, par ailleurs, d'un problème de coût et de budget, les solutions ne manquent pas non plus : rien n'empêche de revenir aux fondamentaux en privilégiant le fond sur la forme. Ce qui permettrait de réduire les dépenses. Mais rien n'empêche non plus d'impliquer davantage les bailleurs de fonds d'ici et d'ailleurs, entre mécènes, municipalités, sponsors et autres institutions. L'important est de faire fi de ce faux star-system, le tapis rouge et les paillettes qui relèvent de la pure singerie et de l'imitation déplacée des festivals de grosses pointures qui disposent de budgets faramineux. Même les festivals de Dubaï, Marrekech et autres disposent non seulement de gros budgets mais sont organisés par des compétences étrangères. Certes, la décision du ministre de revenir à l'annualité des JCC relève d'un souci de décentralisation, consistant à alterner les JCC avec un grand festival de cinéma qui serait organisé dans l'une de nos régions. Mais justement, nos villes et régions disposent-elles de l'infrastructure nécessaire entre salles de cinéma, matériels, logistiques et capacité d'accueil des invités, des journalistes et des cinéphiles, pour l'organisation de ce genre de festival? A l'évidence non. Les problèmes n'en seront que plus épineux et inextricables. Mais rien n'empêche que chacune de ces régions organisent des manifestations de cinéma ou autre selon les moyens du bord. Ce qui n'a rien à voir avec les JCC qui ont leur propre esprit et leurs propres spécificités. La question qui se pose vraiment est la suivante : faut-il opter pour un festival annuel ou bisannuel? Or plusieurs réalités et faits plaident en faveur d'une organisation annuelle de la manifestation : l'ouverture prochaine de la cité de la culture, l'augmentation de la production des films tunisiens, entre courts et longs métrages du genre fiction et documentaire, l'arrivée de jeunes générations sur la scène cinématographique, entre auteurs, réalisateurs, producteurs et techniciens, la concurrence des festivals d'orient et d'occident, l'engouement grandissant du public pour le cinéma, le besoin de créer une dynamique culturelle mais aussi économique, etc. Avec l'augmentation de la production, les films tunisiens ont besoin de visibilité annuelle et non bisannuelle, les films arabes et africains aussi, puisque c'est là l'un des objectifs des JCC : montrer au public non seulement la production récente tunisienne, mais aussi arabe et africaine, encore inexistantes sur nos écrans. Autres objectifs des JCC : privilégier l'option culturelle et alternative pour le développement des cinémas du quart-monde, tout en favorisant la coproduction, la coopération, les échanges et la création d'un vrai marché pour les cinématographies du sud. C'est ce qu'ambitionnaient Tahar Cheriaâ et les cofondateurs des JCC ainsi que les cinéastes phares du continent africain. Or, 50 ans après la création des JCC et 47 ans après la naissance du Fespaco (Festival panafricain du cinéma de Ougadougou), la distribution des films du sud sur leurs propres écrans n'est pas encore garantie. Les écrans arabes et africains demeurent dominés par le cinéma occidental, à quelques exceptions près. L'inexistence d'un marché africain et arabe pour les films du Sud plaide aussi et inexorablement pour l'annualité des JCC, seule occasion pour le public de découvrir ces cinémas-là. Mais faudrait-il encore que la volonté politique suive.