Comment raconter la révolution tunisienne par le graffiti? Tel est l'enjeu du livre que vient de faire paraître la photographe Emna Chaabouni qui, de place publique en palais tagué, de foules fulminantes en paroles cueillies sur les murs, revient sur une page d'histoire que les murs nous ont murmurée... "Si les murs pouvaient parler"... Dès la couverture de son album photo qui vient de paraître aux éditions Arabesques, Emna Chaabouni semble interpeller son lecteur et nous dire que son ouvrage sera un voyage sur une réalité révolutionnaire tunisienne, à savoir le graffiti sous toutes ses formes. Ce livre de 150 pages est en effet un retour sur la séquence révolutionnaire de janvier 2011 ainsi qu'une plongée dans le pays, une quête de quatre ans, qui a permis à l'auteure de retrouver des milliers de graffitis, de tags, de fresques murales à la gloire de la révolution. L'élan révolutionnaire exprimé par le graffiti Il n'y a pas que cela d'ailleurs puisque Chaabouni s'est évertuée à mettre ces images en contexte. C'est ainsi qu'il n'est pas rare que des barbelés, des drapeaux ou des manifestants apparaissent en contrepoint des graffitis. Parfois, ce sont des pages d'histoire qui sont racontées par la photographe qui revient par exemple sur les sit-in de la Kasbah ou les tags qui ont recouvert les palais du clan Trabelsi. C'est une histoire immédiate que Emna Chaabouni restitue par la photo, tout en prenant soin de structurer son récit en fonction de thèmes successifs. Le livre qui comprend plusieurs centaines de photos est divisé en sept chapitres. En ouverture, ce sont les femmes en train de manifester qui sont à l'honneur. Jeunes ou âgées, portant des drapeaux ou des panneaux, elles figurent sur les photos qui témoignent de la place de la femme dans l'élan révolutionnaire. Le second chapitre du livre s'intitule "Langues étrangères" et réunit plusieurs graffiti en anglais, italien ou espagnol qui ont fleuri sur les murs de nos villes. "Liberté d'expression" est le morceau de bravoure du livre, son essence. On y retrouve dans leur diversité les graffiti de la révolution et l'élan qui les a portés. Comme un contrepoint, le chapitre suivant, le plus bref de l'ouvrage, rend hommage à la Palestine alors que les personnages graphiques sont au coeur du chapitre suivant. Les deux deniers chapitres ont pour thème les slogans qui ont accompagné la révolution qu'ils soient exprimés en arabe ou en français. Là encore, il s'agit d'un témoignage qui restitue des pages entières de la révolution tunisienne ainsi que des slogans repris en choeur par le peuple tunisien. Introduit par une préface de Dora Carpentier-Latiri, "Mur... Mur" est accompagné de textes de l'auteure qui donne libre mesure à son talent d'écrivaine, en apportant des commentaires ou bien en décrivant des péripéties qui, désormais, font partie de l'histoire. Humour corrosif et puissance subversive Artiste organique et plurielle, Emna Chaabouni évolue dans des champs très divers. De la danse au cinéma en passant par la peinture, sa palette est des plus larges. C'est la photographe, maîtresse du street art que nous découvrons dans ce livre qui fait parler les murs, qui instille en nous le doux murmure de la révolution et les clameurs du peuple rugissant. "Si les murs pouvaient parler"? That's the question! Chaabouni parvient en tous cas à les faire témoigner, à capturer l'essence d'un moment et, surtout, elle sauve de l'oubli des centaines de slogans et de graffiti qui, depuis, ont été effacés. Ce n'est pas là le moindre intérêt d'un livre qui nous donne à voir une révolution en mouvement, une volonté populaire qui occupe les murs et les places publiques, la voix du peuple dans son humour corrosif, son romantisme révolutionnaire et sa puissance subversive. Assurément, un document pas comme les autres et un reflet d'une Tunisie à la parole libérée!