Il y a quelques jours, la nouvelle chaîne de télévision « Attassiaa » diffusait un reportage assez original. On y voyait des femmes et des jeunes filles ayant pris place dans un café populaire, d'habitude uniquement réservé aux hommes. L'idée étant de filmer la surprise de ces messieurs et leurs réactions lorsqu'ils les découvrent bien installées, en train de boire des cafés ou de jouer aux cartes. Les réactions de la gent masculine furent assez insolites et le reportage en question a défrayé la chronique, en Tunisie mais aussi à l'international puisque de nombreux médias étrangers ont relayé l'information et l'ont largement commentée. A bien regarder leurs visages étonnés, il est presque certain que bien des hommes qui ont pénétré dans ce café « dénaturé » ont dû croire à une caméra cachée en découvrant de belles jeunes femmes attablées au café, en toute décontraction, sirotant des boissons, fumant du narguilé et papotant tranquillement. Pourtant, nulle trace de Raouf Kouka et autres consorts spécialistes des télé-gags dans les environs. Il s'agit seulement d'une expérience télévisée inédite jusqu'ici en Tunisie, que certains pourraient même qualifier de sociologique. Car comment passer à côté des regards surpris, quelques fois amusés mais bien souvent irrités voire même méprisants de tous ces messieurs refusant que leurs concitoyennes partagent avec eux leur « territoire », à savoir le café du coin. Dans ce lieu masculin par excellence, les activités journalières se résument à boire un « direct allongé » servi il y a plus d'une heure, à refaire le monde en discutant politique, économie et sport assis sur une chaise en bois veillotte et à passer en revue l'actualité locale, à savoir les moindres détails de la vie privée des habitants du quartier, le tout à huis-clos bien évidemment, bien à l'abri des oreilles féminines. Quel sacrilège donc que d'oser ôter à ces hommes leur plaisir quotidien ! Dans un pays oscillant sans cesse entre modernité et puritanisme, il est si difficile, parfois même risqué, de bouleverser les codes et de bousculer les traditions. La réaction peut être virulente, voire même violente tant certains esprits semblent confinés dans leur quotidien monotone et leurs habitudes pépères. Tenter de nouvelles expériences, s'ouvrir à l'imprévu et à l'inconnu, se préparer à vivre des aventures inédites, c'est avant tout accepter de franchir les limites de sa zone de confort et ce n'est pas aisé pour tous. Tel est aujourd'hui le cas d'un bon nombre de Tunisiens. Ils aspirent à la modernité mais demeurent, toutefois, récalcitrants par rapport aux changements englobant aussi bien une évolution des mentalités que l'instauration de nouvelles règles de vie, à commencer par la mise en application, loin des discours rhétoriques, concrète de l'égalité entre tous les citoyens sans aucune distinction pour leur sexe, leurs origines, leur statut social, la couleur de leur peau, leurs orientations sexuelles ou religieuses. Collectif Chaml : au nom de la femme ! Parmi les acteurs de la société civile qui se battent au quotidien pour faire appliquer cette égalité parfaite entre citoyens, notamment celle basée sur le genre, le collectif Chaml. Formé en 2014, il regroupe un ensemble de jeunes femmes tunisiennes, issues de divers horizons professionnels et culturels et qui se sont connues principalement via les réseaux sociaux. De débat en débat, d'interaction virtuelle en interaction virtuelle, elles se sont découvert des aspirations et des idéaux communs : faire évoluer le statut des femmes de victimes de la société à actrices actives ayant leur rôle à jouer loin des attributions habituelles et archaïques, à savoir être de parfaites épouses, enfanter et consacrer leur vie uniquement à leur famille. Féministes engagées, les membres de Chaml refusent d'être considérées comme des citoyennes de seconde classe. En créant une plateforme d'expression indépendante, directe et participative, elles ambitionnent de déconstruire, au fur et à mesure, les clichés sexistes et les préjugés moraux qui gangrènent la société. De même, elles dénoncent, sans cesse, les abus dont sont victimes les femmes au quotidien, aussi bien dans la rue qu'au travail ou encore au sein de leurs familles, à savoir le harcèlement moral, les violences physiques, les humiliations, les blagues salaces... Leurs champs de bataille ? La rue, les institutions publiques, la scène culturelle... Leurs armes ? Leur parole libre et leur intime conviction que les femmes ont un potentiel illimité et inimitable pour changer la donne et faire évoluer la société sur différents points.