Le Temps : Les travailleurs et demandeurs d'emploi tunisiens sont-ils encore les bienvenus en France ? Didier Leschi : La France a toujours été une terre d'accueil des travailleurs migrants mais depuis quelque temps, nous assistons à des phénomènes de migration non organisés. Aujourd'hui, notre situation économique est différente et s'est considérablement dégradée particulièrement pour ceux et celles qui sont sans qualification. C'est pourquoi nous focalisons nos efforts depuis quelques années sur le programme de réinsertion économique qui peut être une réelle solution à ce problème. Ceux qui arrivent et sont en situation irrégulière doivent savoir que la France n'est pas l'Eldorado et que dans leurs pays d'origine, il y a des partenariats et des projets à mener et de nombreuses opportunités à saisir. Pour autant, nous ne pensons pas arrêter toutes les migrations professionnelles. La France restera toujours un lieu de formation et un débouché pour des personnes formées sur des secteurs pointus. Toutefois, nous n'encourageons pas la fuite des cerveaux. Il faut dire que nous sommes actuellement dans une situation paradoxale. Nous avons une jeunesse française extrêmement touchée par le chômage et, en même temps, nous avons des secteurs à fort potentiel d'employabilité pour lesquels nous avons du mal à susciter de l'intérêt pour les travailleurs. Je prends pour exemple la boulangerie. Pour ce type de métier, la venue en France de jeunes travailleurs tunisiens répondrait d'abord à un besoin économique et aurait en plus une dimension d'exemplarité puisque cela pourrait convaincre de jeunes chômeurs français et notamment ceux issus de l'immigration, d'y travailler. Mais nous avons aussi besoin de personnes dans des secteurs très qualifiés tel que celui de l'informatique. Nous manquons considérablement de programmeurs par exemple. Les besoins pour ce métier en particulier sont énormes et la venue de personnes qualifiées pour y travailleur n'est pas contradictoire avec les débouchés d'emploi des jeunes vivant en France. Les ressortissants maghrébins vivant en France doivent-ils craindre, plus que d'autres, la montée en puissance du Front National ? Au fait, tout le monde doit craindre l'arrivée au pouvoir du Front National. Mais pour répondre à cette question, sachez que la situation est plus ambiguë qu'elle n'y paraît. Pour cela, il faut avoir une vision plus fine de ce parti. Historiquement, s'il s'est construit sur une forme de xénophobie, il a toujours entretenu une relation compliquée avec les personnes d'origine maghrébine. Pour rappel, Jean Marie Le Pen était un soutien important pour les Harkis et a même perdu un œil dans une bagarre les défendant. De même, dans certains secteurs de quartiers, des personnes issues de l'immigration votent pour ce parti. La situation n'est donc pas aussi simple que cela. Toutefois, il y a quelques évidences que nul ne peut nier dont le fait que le Front National a, sur certaines questions et notamment sur l'emploi, une position extrêmement fermée aux apports extérieurs, ce qui n'est pas la vision du gouvernement actuel. Mais à vrai dire, ce n'est pas un rapport direct au Maghreb en particulier. D'ailleurs, lors des dernières élections municipales, le Front National a mené une campagne de charme auprès des électeurs immigrés. C'est dire que c'est vraiment compliqué. Mais au risque de me répéter, je dis que tout le monde doit craindre l'arrivée de ce parti au pouvoir. Le Conseil de l'Europe s'est récemment inquiété de la montée du racisme et de la xénophobie en France. Qu'en est-il vraiment ? Chaque année, en France, près d'un millier d'actes racistes, xénophobes, antisémites sont commis. Une personne sur deux victimes de ces actes est une personne juive. Nous faisons, en effet, face à un problème majeur de développement de l'antisémitisme en France et c'est là, l'une de nos préoccupations majeures. D'ailleurs, la Tunisie a été directement impactée par ce phénomène suite à l'assassinat d'un jeune juif tunisien lors de la prise d'otages de l'épicerie casher en janvier dernier. Mais ce qui est positif c'est que malgré la volonté des terroristes, il n'y a pas d'agressions ou de mouvements de violence comparables à ceux enregistrés par exemple en Allemagne. En effet, aucun foyer de travailleurs migrants n'a été saccagé, personne n'a succombé aux tirs d'une arme à feu. Nous sommes dans une bonne maîtrise globale de la situation et les Français font bien la différence entre les terroristes et les musulmans, d'autant plus que toutes les personnes d'origine maghrébine, vivant en France, ne sont pas de confession musulmane.