«Je suis une tortue de mer de l'espèce Caretta caretta. J'ai entre 15 et 20 ans. Ma carapace est longue de 71 cm. Je menais une vie tranquille en mer jusqu'au jour où j'ai été repêchée et emprisonnée dans un bac avec de l'eau de mer pendant près de deux semaines dans des conditions désastreuses. Mon geôlier m'a ensuite emmenée au marché des poissons et m'a revendue pour la modique somme de 60 DT. Heureusement que j'ai été sauvée par des amis de la nature qui m'ont prodigué les soins nécessaires et j'ai retrouvé ma santé. Hier, mes amis de «Notre grand bleu» m'ont remise en liberté, dans mon environnement naturel, la mer. Je devrai être heureuse mais je porte en moi cette peur d'être de nouveau repêchée et livrée aux mains d'un nouveau bourreau. Nous autres, tortues de mer, sommes en voie de disparition. S.O.S» C'est par ce lâcher en mer de la tortue, baptisée «Fadwa» par ses sauveteurs, qu'a commencé la visite de presse de l'île Grande Kuriat, organisée par l'Agence de Protection et d'Aménagement du Littoral (APAL) à l'occasion de la Journée mondiale de la biodiversité, célébrée chaque année le 22 mai. Recueilli en octobre 2015 par l'association «Notre grand bleu», elle était alors en piteux état. Après avoir reçu des soins intensifs et recouvert sa santé, elle a été relâchée il y a quelques mois en mer avec d'autres tortues mais est retournée au rivageau bout de deux jours car elle n'était apparemment pas encore prête pour affronter de nouveau le milieu marin. Hier, elle a été de nouveau relâchée et ses soigneurs espèrent qu'elle retrouvera rapidement ses repères en mer. L'île Grande Kuriat est l'un des principaux sites de nidification de la tortue caouanne (Caretta caretta en latin) au Sud de la Méditerranée.Elle est repérable de loin grâce au grand phare qui y a été construit en 1888. Placé sous surveillance militaire, l'endroit est très fréquenté par les estivants, les pêcheurs mais aussi par les locaux qui viennent en pèlerinage visiter le mausolée du marabout «Sidi Sâad». Toutefois, il est interdit d'y passer la nuit sauf autorisation.Pour y accéder, il faut emprunter un bateau et faire une traversée d'environ 2h à partir du port de pêche de Monastir. La Grande Kuriat (270 hectares), la Petite Kuriat, appelée aussi Conigliera (70 hectares) ainsi que deux minuscules petits îlots constituent l'archipel des Kuriat, situé au large de la baie de Khnis au Nord-Est du cap de Monastir à environ 18 Km de cette ville. Elles se caractérisent toutes deux par la faiblesse des altitudes et la diversité de leur faune et de leur flore. Elles portent également les traces des époques très anciennes avec d'importants vestiges archéologiques répartis sur les deux sites. En effet, des traces de présence humaine remontant à la préhistoire y ont été décelées et au Moyen-âge, le géographe arabe Al Bekri avait évoqué dans ses notes «Qasr al Quriyatayn» avec un port sur la Petite Kuriat dont les vestiges sont encore visibles jusqu'à aujourd'hui. En plus de ses richesses archéologiques, l'archipel Kuriat joue, grâce à son écosystème riche et varié tant en terre qu'en mer, un rôle important en matière de biodiversité. Ses îles constituent en effet une escale migratoire pour certains oiseaux migrateurs comme le goéland railleur et abritent plusieurs espèces d'oiseaux marins tels que le goéland d'AudouinLarusaudouinii, le goéland LeucophéLaruscachinnans, le gravelot à collier ininterrompu Charadriusalexandrinus et la sterne pierregarinSternahirundo. Elles renferment aussi une forte colonie de lapins. De même, l'archipel Kuriat constitue aussi un abri et une aire de ponte et de concentration des tortues Caretta caretta mais aussi de certaines espèces de poulpes et de seiches. Enfin, les îles Kuriat abritent une multitude d'espèces et d'habitants marins dont certains sont considérés comme très rares et très vulnérables à l'échelle méditerranéenne à l'instar de l'herbier de Posidonies, des fonds de Maërl ou encore les forêts à Cytoseires. Aires protégées marines et côtières: une priorité gouvernementale Vulnérable et rare, l'écosystème de l'archipel de Kuriat est menacé de toutes parts, notamment par la surpêche, par les visites humaines en période de ponte des tortues ou encore par l'infestation de rats noirs. Pour sauvegarder ces richesses naturelles et les préserver pour les générations futures, un projet régional pour le développement d'un réseau méditerranéen d'aires protégées marines et côtières à travers le renforcement de la création et de la gestion d'AMP (Projet MedMPAnet) a été mis en place par le Centre d'Activités Régionales pour les Aires Spécialement Protégées (CAR/ASP), en collaboration avec l'APAL. Ce projet a pour objectif final de procéder à la création, la planification, le zonage et le développement de la future aire protégée marine et côtière des îles Kuriat. La décision de créer des aires protégées marines et côtières constitue en Tunisie une priorité a été prise lors d'un conseil ministériel en mars 1998 et réaffirmée en août 2000 lorsque l'APAL a été chargée de ce dossier, par le ministère de l'Environnement de l'époque. Depuis, un programme national de création d'aires marines et côtières protégées en Tunisie a été initié avec pour objectifs l'amélioration du cadre juridique, l'élaboration d'une stratégie nationale et l'exécution des travaux et l'application du plan de gestion de chaque aire. Les sites concernés sont l'Archipel de la Galite, le littoral allant de Cap Negro à Cap Serrat, l'archipel de Zembra et Zembretta, les îles Kuriat, la partie Nord-Est des îles de Kerkennah, les îlots des Kneïss. D'autres projets mis en place par l'APAL concernent Tabarka, Sidi Ali El Mekki, les Flèches de Djerba, la lagune de Boughrara et celle d'El Bibane. La société civile à la rescousse Etablissement public à caractère non administratif, l'APAL mise pour la réussite de ses projets sur d'autres partenaires administratifs mais également sur la société civile. Concernant la zone sensible des îles Kuriat, l'APAL s'est associée à « Notre grand bleu » pour un partenariat ayant débuté en 2012 et devant durer 5 ans. Créée en 2012, l'association vise à préserver la vie marine et côtière en Méditerranée et assurer un avenir durable de l'espace littoral. Parmi ses objectifs, la sensibilisation pour la conservation de la biodiversité et la préservation de l'environnement marin, côtier et insulaire, la sensibilisation des jeunes écoliers et lycéens d'une part sur l'importance de sauvegarde le littoral et la mer et leurs ressources naturelles, avec un focus sur la conservation de la biodiversité marine et côtière, notamment la protection des espèces qui ont un grand intérêt pour l'écosystème ou les espèces menacées d'extinction. Du 20 au 27 mai, «Notre grand bleu» organise un grand événement intitulé «CelebrateIslands» avec comme principales activités lors de cette semaine le nettoyage de la côte, l'accrochage de filets fantômes, la mise en place de sentiers marins ou encore la pose de boites anti-ré infestation du rat noir. La lutte contre la propagation du rat noir sur les îles a constitué l'un des projets phare de l'association qui a réussi à éradiquer totalement cette espèce menaçant des îles. Il s'agit de la plus grande opération d'éradication dans toute la Méditerranée. Maîtrisant parfaitement tous les aspects des îles Kuriat, les membres de l'association sont un précieux soutien pour les scientifiques et pour les étudiants chercheurs qui s'intéressent au sujet.