En Tunisie, tous les secteurs économiques nécessitent aujourd'hui des réformes en profondeur. Entre autres, il y a lieu de signaler le secteur bancaire, malgré les efforts inlassables de restructuration des banques notamment privées pour améliorer leurs prestations afin de combler les lacunes et les insuffisances avec toutefois des disparités notables entre les différents établissements considérés individuellement. Ces efforts restent insuffisants face aux défis du secteur. Quelles sont les insuffisances du secteur bancaire et quelles sont les réformes qui urgent pour un secteur concurrentiel? Actuellement, l'effort est axé sur la consolidation et sur le respect des règles prudentielles imposées par le comité de Bâle II. D'autres réformes sont en cours de réflexion pour consolider la stabilité financière, en convergence avec les mesures récentes proposées par le Comité de Bâle et visant, en particulier, la réduction de la procyclicité de l'activité bancaire et une meilleure régulation du risque systémique. Quant à la taille des banques tunisiennes, comparée aux banques voisines et africaines, l'écart est tout simplement gigantesque. Le total des actifs des banques tunisiennes ne pèse que 2,76% du total actifs des banques africaines et la première banque tunisienne en terme de total bilan en l'occurrence la BIAT se pointe au 45ème rang dans le classement des banques africaines (Top banques, African Buisiness).
Les insuffisances du secteur
Selon un rapport publié par la BAD, la mauvaise gouvernance du secteur bancaire a engendré plusieurs problèmes majeurs. L'un d'eux est la proportion anormalement élevée de créances douteuses. Même si le ratio de créances douteuses sur l'actif total a diminué par rapport au récent pic de 24,2 %, il reste élevé, à plus de 13 %. L'existence de ces créances s'explique notamment par les relations que les banques – en particulier les banques publiques – entretiennent avec des sociétés d'Etat, lourdement endettées et par le fait qu'elles favorisent certains secteurs. Les banques sont nombreuses à maintenir des liens avec ces entreprises, même si la viabilité financière de ces dernières laisse à désirer, ce qui a pour conséquence de priver de ressources les projets nouveaux mais potentiellement risqués. Cette pratique a pour effet de surexposer les banques à certains secteurs qui n'affichent pas de bons résultats, tels que le tourisme, qui concentre 20 % de toutes les mauvaises créances. Les ratios moyens des fonds propres des banques sont globalement conformes aux normes internationales, mais peuvent être insuffisants dans certains cas pour garantir leur solvabilité à cause du volume de créances douteuses. Le même rapport indique qu'en 2009, le ratio des fonds propres réglementaires des banques s'élevait à 12,4 %, et à seulement 10,9 % pour les banques publiques. Ce ratio est légèrement supérieur au ratio minimal fixé par les Accords de Bâle et pourrait s'en éloigner. La Société tunisienne de banques (STB), la plus grande banque exploitée par l'Etat, est dans une situation financière particulièrement inquiétante. La qualité de son portefeuille de prêts s'est dégradée en 2011, et son ratio de fonds propres réglementaires est tombé au-dessous du seuil de 8 %. La STB a augmenté ses fonds propres en mettant de la dette de rang inférieur ; pourtant, vu l'augmentation continue des créances douteuses au premier semestre de 2012, il n'est pas encore certain que la banque puisse respecter les normes de fonds propres. Etant donné la taille et l'importance de la STB dans le secteur bancaire, l'Etat négocie l'octroi d'un don à la banque pour régler la question de ses fonds propres. A l'instar de la plupart des pays émergents, la Tunisie reste encore une économie d'endettement dont le système bancaire constitue une variable majeure dans l'équation de la croissance. Ce système représente un baromètre de l'état de santé de toute l'économie. Chiffres à l'appui, les crédits octroyés représentent 63% du PIB. Sujet à de profondes mutations, le système bancaire tunisien illustre les choix stratégiques de la Tunisie. Ces transformations ont été réalisées aussi bien sur le plan organisationnel que sur le plan des activités à travers les phénomènes de déréglementation, et de désintermédiation. Le secteur bancaire est partagé entre près de trente banques privées et trois banques publiques. On peut considérer que le nombre relativement élevé, conjugué à un taux de bancarisation jugé satisfaisant, conduit à une concurrence assez intense sur ce secteur. A cet effet, les banques sont amenées à faire davantage d'efforts pour grignoter des parts de marché notamment par la proposition de taux avantageux pour les clients, surtout avec la libéralisation financière. D'autre part, les parts de marché dépendent fortement de l'importance du réseau d'agences de chaque établissement. Les banques, notamment privées, sont en train d'investir intensément dans l'expansion de leurs réseaux alors que les banques publiques s'axent sur d'autres priorités.La BH est actuellement plus axée sur l'amélioration de ses fondamentaux et le respect des règles prudentielles. Par ailleurs, la rivalité est déterminée par le degré de spécialisation des banques. En effet, certaines banques se sont spécialisées dans des créneaux particuliers et bénéficient ainsi d'une position dominante sur ces créneaux comme la BH dans l'immobilier, la BNA dans le secteur agricole, et la STB dans le secteur du tourisme.
Des réformes urgent
Des réformes doivent être engagées en faveur d'une meilleure efficience et d'un nouveau positionnement des banques tunisiennes sur l'échiquier régional et international. Un processus de longue haleine et complexe, certes, mais qui mérite bien qu'on s'y attarde, financement de l'économie, intégration euro-med, internationalisation et prolifération des petites et moyennes entreprises, obligent. Selon certains experts, le programme de restructuration et de modernisation du système bancaire et financier tunisien repose sur trois fondamentaux, à savoir : accroître la contribution des banques dans le financement de l'économie, l'amélioration de la productivité du secteur et l'extension des banques. Pour prendre une nouvelle dimension et réussir le challenge de faire de la Tunisie une place financière régionale, des faiblesses et des insuffisances doivent être corrigées. Le cloisonnement, la petite taille du marché bancaire, l'importance des créances accrochées, les vices de gestion et de gouvernance, la domination d'un paysage figé et atomisé…, sont autant d'asthénies qui entravent les marges de manœuvres bancaires, et sabordent les objectifs de création d'entreprises et limitent les possibilités d'internationalisation et d'ouverture des banques ou des entreprises tunisiennes en général.
Un nouveau décret
Lors d'une séance ministérielle de travail, consacrée au mois de novembre dernier à l'examen d'un projet de décret relatif à la méthode d'exercice de la supervision et de la gestion des conseils d'administration ou conseils de contrôle et à la représentativité des participants publics dans les structures d'administration de la STB, la BNA et la BH, les recommandations suivantes ont été adoptées au cours de cette séance ministérielle de travail: 1/ Elargissement des dispositions du projet de décret à toutes les banques publiques; 2/ Elaboration minutieuse des articles relatifs à la définition du rôle du contrôleur de l'Etat, de manière à contribuer à l'activation de ce rôle dans l'aide à la prise de décisions et à la garantie de leur conformité aux textes en vigueur et l'insistance sur la participation de ce contrôleur dans les différentes commissions internes des banques publiques; 3/ Limitation des attributions de la commission évoquée dans l'article six du projet de décret, à la définition des critères de choix des gestionnaires représentant les actionnaires publics dans les conseils d'administration ou conseils de contrôle des banques concernées. Le décret, sujet de la séance ministérielle, n'a pas tardé pour voir le jour et il a été publié le 5 décembre au JORT. Il a notamment souligné qu'en sus des attributions prévues par le code des sociétés commerciales, les conseils d'administration ou les conseils de surveillance des banques publiques sont chargés, chacun en ce qui le concerne, notamment de : – l'établissement des contrats programmes et de leur suivi périodique, – l'approbation des budgets prévisionnels de fonctionnement et d'investissement ainsi que leurs modes de financements avant la fin de l'année précédant leur exécution, – l'approbation des chartes de bonne gouvernance, – l'approbation de la politique de rémunération et de son adaptation par rapport au contrat programme de la banque, – l'approbation des lois-cadres, des organigrammes, des conditions et modalités de recrutement et des conditions de nomination et de retrait des emplois fonctionnels, – l'approbation de la nomination des cadres dans les fonctions de directeur central et de secrétaire général ou dans des fonctions équivalentes sur la base d'un rapport établi par une commission émanant du conseil d'administration ou de surveillance, – l'approbation des référentiels d'évaluation de la performance des employés et des modalités de leur promotion, – l'approbation des manuels de procédures et notamment ceux relatifs à la gestion des ressources humaines et des marchés, – l'approbation des politiques d'arbitrage et les clauses arbitrales et les conventions de réconciliation dont les montants sont fixés par les conseils d'administration ou les conseils de surveillance visant le règlement des litiges conformément à la législation et à la règlementation en vigueur. Le décret indique également que le ministère des Finances approuve les orientations stratégiques arrêtées par les conseils d'administration ou les conseils de surveillance des banques publiques, et ce, dans un délai maximum de deux mois de leurs dates de transmission. Lesdites orientations sont consignées au sein de contrats programmes. Les banques susvisées sont tenues de transmettre au ministère des Finances les contrats- programmes dans un délai maximum de dix jours à partir de leur établissement par les conseils d'administration ou les conseils de surveillance. Le contenu et les modalités de suivi et d'actualisation des contrats programmes sont fixés par arrêté du ministre des Finances. Le ministère des Finances désigne un contrôleur d'Etat chargé de la vérification du respect de la banque concernée des procédures régissant les marchés et les recrutements. Le contrôleur d'Etat assiste obligatoirement aux réunions des commissions chargées des marchés et des recrutements. Il est chargé d'en établir des rapports dont le suivi est inclu dans les ordres du jour des conseils d'administration ou des conseils de surveillance. Les conseils d'administration ou les conseils de surveillance des banques concernées peuvent inviter le contrôleur d'Etat à assister à leurs réunions à titre d'observateur. Renforcer la position des banques publiques constitue une priorité et un élément d'une vaste stratégie visant à stimuler la croissance économique. Ainsi, le gouvernement s'apprête à injecter plus d'un milliard de dollars, conformément à l'évaluation de la stabilité du système financier tunisien à laquelle s'est livré le FMI. D'autre part, les autorités tunisiennes envisagent une recapitalisation à hauteur de 1,1 milliard de dollars des banques publiques du pays au cours des deux prochaines années, espérant ainsi réduire les risques auxquels est exposé le secteur financier du pays et rassurer les investisseurs. D'un montant équivalent à 2,6% du PIB, la somme pourrait apporter aux trois banques publiques l'élan dont elles ont besoin pour renforcer leur bilan, réduire l'impact des créances douteuses et commencer à amoindrir leur forte dépendance envers les injections de liquidités de la Banque Centrale.
Les banques publiques souffrent
Les trois principales banques publiques se sont vues confrontées à des difficultés ces dernières années, qui s'expliquent en partie par les prêts importants accordés au secteur du tourisme, qui a subi à la fois les effets de l'instabilité politique intérieure et du ralentissement économique en Europe. De plus, ces banques publiques ont été sujettes, selon les experts, à une faible gouvernance par le passé, les conduisant à accumuler d'importants stocks de créances douteuses. Aujourd'hui, les trois banques publiques représentent environ 40% des actifs du secteur mais elles affichent le plus fort taux de créances douteuses, soit environ 30% à mi-2013, contre 9% pour le secteur privé. Elles doivent, d'après les experts en gouvernance, adopter les pratiques de la transparence, en tant que mentalité et charte de travail, et non point comme étant un ensemble de mesures restrictives et disciplinaires. La circulaire du Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie n° 2011-06, en date du 20 mai 2011, identifie déjà les règles de bonne gouvernance dans les établissements de crédits, mais ces règles sont encore loin d'être suffisamment appliquées.