Dans une phase de crise économique, dopée par une crise politique grave, le rôle des institutions économiques indépendantes est de loin le plus important. La Banque Centrale de Tunisie, est la citadelle de la politique monétaire en Tunisie, dirigée par un gouverneur, dont la nomination n'a suscité que des éloges. Un économiste chevronné et surtout ayant des connexions internationales, puisqu'il travaillait comme économiste en chef à la banque Mondiale lors de sa nomination. Jusqu'à présent Abassi a réussi sa mission, puisqu'il est arrivé à contribuer à la maîtrise de l'inflation à un niveau qui reste important (6.3%), mais qui recule depuis des mois. Cette « réussite » a valu à notre cher gouverneur, d'être nommé au mois d'Octobre dernier par le FMI « Meilleur gouverneur 2019 de banque centrale des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord ». C'est un honneur pour notre pays, mais le revers de la médaille c'est que cette consécration vient au détriment d'autres éléments préjudiciables pour l'économie tunisienne. Marouane Abassi est certes un bon gouverneur, mais pas un patriote. Taux d'investissement et taux d'intérêt : Abassi est venu dans contexte ou l'inflation en Tunisie faisait des ravages atteignant plus de 7.7%. Les économistes vous le diront, l'inflation est comme un cancer qui se répond dans une économie au point de l'asphyxier. La solution, pour maîtriser l'inflation passe par des mesures d'ordre monétaire (le taux d'intérêt), ou d'ordre d'économie réelle (baisse des coûts de production, contrôle économique des circuits de distribution, ….). La Banque Centrale, usant des moyens et prérogatives dont elle dispose a relevé le Taux directeur à plusieurs reprises, et même à des périodes très proches, afin de maîtriser le niveau élevé des Billets et monnaies en circulation (plus que 14 milliards de dinars) et les besoins de refinancement des banques (plus de 16 milliards de dinars), ainsi que la montée du niveau des crédits à la consommation. Ces décisions, défendables sur le plan de la théorie économique, sont venues comme un coup de maçon pour l'économie nationale et surtout pour les entreprises, les investisseurs et les ménages tunisiens. En effet, le coût de l'argent en Tunisie est devenu insupportable, et l'accès au financement bancaire très coûteux. Signalant au passage que l'approche néoclassique, nous informe que l'augmentation des taux d'intérêt favorise l'accroissement des coûts d'usage du capital, ce qui entraîne la baisse des investissements privés. Le taux d'investissement privé en Tunisie qui était en 2010 de l'ordre de 16% a chuté à moins de 11% en 2018. Le taux d'intérêt n'est pas la seule cause mais y a contribué fortement. Rien que pour le secteur industriel, les intentions d'investissement ont chuté de -20% durant les 10 premiers mois de 2019. Les investisseurs et les hommes d'affaires vous le diront, on n'arrive plus à investir, « on nous a coupé les vivres » nous confie un grand investisseur. Comme signalé sur les colonnes de l'Expert, les ménages tunisiens ont aussi subi les impacts de ces décisions, à travers un assèchement des crédits à la consommation, et surtout, hausse importante des coûts des crédits déjà obtenus. Indépendance de la banque Centrale mise en doute : En prenant des décisions aussi préjudiciables pour l'économie tunisienne, à un moment ou elle cherche un souffle pour le développement de l'investissement et la création des emplois, la Banque Centrale a usé de son statut de structure indépendante. En effet, le paragraphe 2 de l'article 2 de la loi du 25 Avril 2016 portant fixation du statut de la banque Centrale stipule que « la banque Centrale est indépendante dans la réalisation de ses objectifs ». Le paragraphe 3 du même article, confirme encore plus cette indépendance en annonçant que « Nul ne peut porter atteinte à l'indépendance de la Banque Centrale, ni influencer les décisions de ses organes et ses agents dans l'exercice de leurs fonctions ». Cette indépendance s'est transformée en une déconnexion totale de la réalité économique du pays. Le patronat ainsi que la centrale syndicale ont vu dans ces mesures un couteau dans le dos, de la part du gardien de la politique monétaire du pays. Cette stratégie de la Banque Centrale était aussi contradictoire avec la politique gouvernementale qui cherche à stimuler l'investissement via un nouveau code et une loi transversale de l'investissement, et l'amélioration du climat d'affaires dans le pays. C'est ce constat qui a aussi poussé l'Union populaire républicaine (UPR) à présenter, la semaine dernière une initiative législative visant à annuler la loi de 2016 relative à l'indépendance de la Banque centrale de Tunisie. Le président du bloc parlementaire de l'UPR, Adnane Ben Brahim a indiqué que ladite loi empêche l'Etat d'emprunter de l'argent à la BCT, ce qui le pousse à recourir aux banques commerciales, qui, à leur tour, empruntent à la banque centrale. Une démarche qui n'a pas beaucoup de chances d'aboutir, mais qui témoigne tout de même d'un avis fort défendable. Notre cher gouverneur a certes usé de tous les moyens dont il dispose, et dont le cadre législatif actuel le lui permette, mais n'a aucunement pris en considération la situation économique du pays. Cette mise en cause de l'indépendance de la Banque Centrale est défendable dans l'état actuel des choses, mais notre cher meilleur gouverneur de la région MENA, doit remettre les pieds sur terre, et ne pas appliquer à la lettre les théories économiques, défendables soient elles. Abou Farah