Depuis des mois, les cliniques privées sont dans l'œil du cyclone. Elles sont diabolisées, dénigrées, au point de les traiter de « criminels de guerre ». Entre les médias et les réseaux sociaux, les attaques viennent de partout. La mort de la juge de Nabeul, était la goûte qui a fait débordé le vase. Or, les cliniques privées ne sont elles pas aussi victimes de la situation sanitaire du pays ? Ne trainent elles pas un lourd déficit et des impayés suite à la guerre en Lybie ? En réalité, les cliniques privées sont elle ange ou démon ? Coup de projecteur... Un acteur économique important qui a une mauvaise image : La Tunisie compte une centaine de cliniques privées, employant au moins plus de 17000 personnes, et offrant plus de 6000 lits, soit 20% de la capacité nationale, ce qui fait de ce secteur un acteur important dans l'économie et le système sanitaire national. Le chiffre d'affaire annuel tourne autour de 900 millions de dinars, et des exportations de services de santé de l'ordre de 2.5 milliards de dinars. La perception globale des tunisiens envers les cliniques privées est très négative et un climat de suspicion et d'incompréhension règne entre ces cliniques et leurs patients ou clients. En effet, on accuse les cliniques privées de réaliser beaucoup de bénéfices sur le dos des malades, et qu'ils surfacturent leurs services au détriment des gens faibles et affaiblis. De l'autre côté, les cliniques privées n'ont rien fait pour améliorer leur image auprès des tunisiens, profitant de la manne des clients algériens et libyens, qui affluent chaque année. Il faut dire que les clients étrangers des cliniques représentent pas moins de 40% de leur chiffre d'affaire. Les clients des cliniques privées n'arrivent parfois pas à comprendre les techniques de facturation. A l'entrée on exige une caution de garantie, et puis le compteur commence à tourner : on facture tout, même une simple visite d'un infirmier ou une seringue, ou un papier toilette. Le pauvre consommateur, à la fin n'a aucunement le droit de contester. Il n'a même pas chez qui contester une facture salée, et la pilule a du mal à être avalée. Les cliniques privées sont aussi accusées d'entente illicite. Les prix pratiqués par les cliniques se rapprochent étrangement, et les politiques commerciales sont presque les même. La concurrence dans le secteur n'est pas perceptible. La chambre syndicale des cliniques privées a publié en 2013 un document signé par ses membres sur les fourchettes de prix à pratiquer pour tous les services (hébergement, réanimation, location de blocs,...), or c'est une pratique anticoncurrentielle réprimandable par les lois en vigueur. Les tunisiens, qui sont devenus de plus en plus soucieux de leur santé, méprisent certaines pratiques jugées inhumaines des cliniques privées tel que l'obligation de donner des garanties de paiement avant chaque admission, ne prenant pas en compte la situation des malades. On oublie parfois que les cliniques privées sont des sociétés privées qui ont pour but de réaliser des profits, et non pas des associations caritatives ou des hôpitaux publics. D'autres voix ce sont élevées appelant le gouvernement à réquisitionner les cliniques privées afin d'augmenter la capacité de notre système de santé et pouvoir faire face à la crise actuelle. Des attaques pour un secteur sinistré : Un reportage réalisé par Hamza Belloumi « les quatre vérités » autour des prix pratiqués par les cliniques privées et principalement la facturation des bouteilles d'oxygène, une juge est morte à Nabeul à cause du Covid-19 et suite au refus par une clinique privée de son admission sans la caution de 30.000 dinars, des factures de tests PCR à 400 dinars alors que le prix est fixé à 209 dinars, un chef de gouvernement qui appelle les tunisiens atteints de Covid-19 et qui ne trouvent pas de place dans le secteur public de se diriger vers les cliniques privées et c'est l'Etat qui va le prendre en charge....c'est une partie des évènements et déclarations qui ont collé les cliniques privées au trou. De l'autre côté, et d'une manière objective, les cliniques privées ont été largement impactées par la crise du Covid-19. En effet, selon une étude de « Tunisia Health Alliance », près de 97 % des cliniques privées ne sont plus en mesure de couvrir leurs charges d'exploitation en raison de la crise du coronavirus. L'étude montre aussi qu'une clinique sur deux a perdu au moins 85% de son chiffre d'affaires habituel et 3/4 des cliniques ont perdu au moins 70 % de leur chiffre d'affaires. Selon les conclusions de cette même étude les cliniques prévoient une baisse de 30 % de la demande du marché local pour la prochaine période. Les tunisiens affluent de moins en moins aux cliniques par peur de contamination et sont en train de reporter certaines interventions ou consultations à d'autres RDV. Le secteur des cliniques privées est depuis des années sinistrées, puisque plusieurs unités trainent depuis des factures impayées de nos amis libyens victime de la guerre et qui sont venus se soigner chez nous. La facture des impayées a atteint en 2018, plus de 218 millions de dinars, et qui sont en train d'être honorés en tranches. Entre la diabolisation parfois injustifiée, et les exigences de l'efficacité économique pour un projet privé, les cliniques se trouvent entre le marteau et l'enclume. Le plan de sauvetage prévu par le gouvernement n'a rien prévu pour les cliniques privées, ce qui a empiré leur situation. Contribuer à l'effort de guerre : La Tunisie est dans une véritable guerre contre cette pandémie. Et dans une guerre on doit employer toutes les armes. Le système de santé tunisien, public et privé, et dans les premiers rangs dans cette guerre. C'est dans ce cadre qu'on s'attendait des cliniques privées à ce qu'elles soient actives et réactives, et ne pas adopter des comportements d'entreprises privées, mais d'hôpitaux qui contribuent à alléger les souffrances des gens. Il est inadmissible que les cliniques privées continuent à exiger des cautions de 30.000 à 50.000 dinars pour chaque patient pour l'admettre dans un circuit Covid. Des sacrifices sont à faire et c'est précisément le moment de les faire. Les tunisiens s'attendaient plus à des comportements comme celui du PDG de la clinique privée de Médenine qui a mis à la disposition de l'hôpital régional des lits de réanimation à titre gracieux afin d'aider à absorber le flux des malades. Un geste fortement salué par les réseaux sociaux et les médias. Les tunisiens s'accordent à dire, qu'en l'état actuel des choses, et vu que les capacités des hôpitaux publics qui sont largement dépassées, les cliniques privées doivent être mis à contribution et mobilisées dans la lutte contre la pandémie. La peur des tunisiens est de voir ceux aisés acheter la vie avec leur argent, alors que les pauvres meurent dans les hôpitaux publics parce qu'ils n'ont pas les moyens. Un système de santé à deux vitesses est la voie qu'on doit éviter. Alors, Ange ou démon...à vous de juger. ABOU FARAH